Terminer l’essai filmique introspectif entamé en 2003 par sa mère, déterminée à confronter l’homme qui l’a agressée à l’enfance; tel est le mandat délicat que s’est donné Loïc Darses en réalisant le documentaire elle pis son char.
Présenté en première mondiale aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), le projet de fin d’études du jeune réalisateur s’avère aussi magnifique que bouleversant. Alors que sa prémisse s’y serait naturellement prêtée, le court métrage évite pourtant de verser dans les plaidoyers culpabilisants adressés aux agresseurs ou de recenser longuement les impacts irréparables causés chez leurs victimes.
«Il ne faut pas le voir comme un film sur l’agression sexuelle, mais bien plus comme une lettre d’amour à ma mère, insiste Loïc Darses. En regardant le matériel qu’elle avait filmé initialement, je ne voyais pas juste ma mère, mais bien le voyage d’une femme incroyablement forte qui a vécu quelque chose de difficile.»
Cette accentuation sur la démarche courageuse de Lucie Tremblay, sur son refus d’éprouver seule la honte qui devait incomber à son agresseur, est aisément perceptible au final. Impossible pour le spectateur de rester froid devant les passages de soliloque tourmenté qu’on lui donne à voir.
Justesse dans le rendu
Évidemment, l’œuvre ne se résume pas en un simple témoignage touchant. «J’espérais avoir assez de recul et de jugement pour faire un film qui n’est pas seulement un journal intime, explique Loïc Darses. Je voulais que les gens soient touchés par l’acte symbolique qu’elle a posé et non pas parce qu’ils la connaissent.» Le réalisateur réussit effectivement avec brio à émettre un message à la portée universelle.
Si le sujet d’elle pis son char est frappant d’humanité, sur le fond, il offre également une opportunité intéressante d’innover par la forme. Le court métrage est en fait un collage des images originales de Lucie Tremblay, tournées en mini-DV, et des magnifiques paysages québécois qu’elle a arpentés dans son périple, captés en 2014 sur la caméra cinématographique ARRI Alexa. La juxtaposition des deux esthétiques se fait sans heurts – elle est bizarrement naturelle – et l’ensemble final est cohérent.
Même le brouillage de certains moments cruciaux dans le cheminement de la protagoniste est effectué de manière créative. Plutôt que d’être déformée par le traditionnel flou propre au reportage, l’image y est altérée grâce à un processus de datamoshing, qui reprend l’esthétique colorée des erreurs de compression numérique. «Je voulais éviter d’évoquer quelque chose de plus jaune, de plus sensationnaliste, en allant pêcher dans les eaux du reportage, se justifie Loïc Darses. Avec ce film, je voulais éloigner ceux qui éprouvaient le besoin voyeur d’assister à la confrontation d’un agresseur.» La facture stylistique s’en trouve nécessairement rehaussée.
Le montage d’un film doit être entendu comme sa «troisième écriture», disait le monteur René Roberge, évoquant l’apparition d’un sens nouveau par l’agencement créatif des séquences tournées. Le documentaire étudiant n’échappe pas à cette règle, ayant subi un élagage considérable en postproduction. «Nous avons réduit une vingtaine d’heures de matériel à un peu moins d’une trentaine de minutes de film, explique la monteuse Amélie Hardy. Le montage a duré neuf mois; j’ai un peu l’impression d’avoir accouché de ce film.»
Accueil enthousiasmant
Il est plutôt rare qu’un projet final de baccalauréat jouisse d’un accueil aussi chaleureux. En plus de s’être mérité une mention spéciale dans la catégorie du meilleur court métrage international aux RIDM, le film a été présenté au Festival international du cinéma francophone en Acadie le 15 novembre. Au terme d’un vote unanime, elle pis son char s’est aussi vu remettre à la mi-août le Premier prix international à la 15e édition du Festival International de Escuelas de Cine (FIEC), en Uruguay. Il voyagera également à Poitiers, à la fin du mois de novembre, pour être diffusé dans le cadre des Rencontres internationales des écoles de cinéma.
Photo: Loïc Darses
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