Mettre en échec la discrimination

Depuis 1991, la ligue des Dragons de Montréal, qui se décrit comme une «ligue de hockey récréative pour les hommes gais et leurs amis», offre une patinoire libre de préjugés et d’intimidation pour les hockeyeurs homosexuels.

En juin, la gardienne de but canadienne triple médaillée d’or aux Jeux olympiques d’hiver, Charline Labonté, a publiquement dévoilé son homosexualité dans l’espoir d’encourager les jeunes athlètes d’aller vers l’avant et d’être confortable avec leur orientation sexuelle. Près de vingt-cinq ans après la création de la ligue des Dragons, l’enjeu de l’homosexualité prime encore dans le monde du hockey, tant au niveau professionnel que récréatif. Le progrès social de la cause homosexuelle est très observable depuis 1991, mais des avancées semblables restent à faire dans les vestiaires et sur la glace. «Notre raison d’être est de permettre aux gais de s’accepter, de s’afficher et de prendre confiance», affirme le président et trésorier de la ligue, Patrick Fontaine.

Pour répondre à son but premier, la ligue des Dragons a décidé d’intégrer dans leur équipe des hétérosexuels ouverts d’esprit. Selon le sociologue auteur du livre L’épreuve de la masculinité: sport, rituels et homophobie, Simon-Louis Lajeunesse, cette mixité a des retombées positives pour les hétérosexuels impliqués. «Ceux auxquels j’ai parlé dans mes recherches pour l’écriture de mon livre m’ont dit que c’est la ligue dans laquelle ils ont joué où il y avait le moins de pognage de cul et le moins d’intimidation, révèle-t-il. Si les gais de l’équipe veulent se pogner le cul.» Le sociologue explique d’ailleurs que les ligues de hockey traditionnelles pratiquent souvent des rites d’initiation comme la sodomie et les concours de masturbation.

Le président des Dragons estime de son côté qu’il est essentiel pour le circuit de ne pas interpeller uniquement les homosexuels. «Il ne faut pas faire de notre organisation un ghetto, soutient Patrick Fontaine. La mixité permet aux gais de se sentir à l’aise et de voir que ce ne sont pas tous les hockeyeurs qui les jugent.» Selon lui, refuser d’admettre des hétérosexuels dans la ligue irait à l’encontre de ce que désirent eux-mêmes les gais, c’est-à-dire, l’inclusion. Il estime que près de 30% des joueurs inscrits dans la ligue des Dragons ne sont pas homosexuels.

Simon-Louis Lajeunesse suggère d’ailleurs que les ligues de hockey traditionnelles sont peu inclusives parce qu’elles sont, à la base, extrêmement machistes. «Le sport est un haut lieu de socialisation et de fabrication de la masculinité, et ce n’est pas n’importe quelle masculinité que l’on crée: elle est hégémonique ou classique. Par conséquent, elle est machiste et homophobe», révèle le sociologue. Il explique que la mentalité de la meute de loups guide les équipes de hockey, et même si certains membres sont plus ouverts d’esprit, c’est la volonté du groupe qui l’emporte. Celle-ci rejette les homosexuels. Patrick Fontaine appuie les propos de ce dernier en rapportant que plusieurs joueurs de sa ligue ont subi des menaces et des injures par le passé. «C’est le genre de situation qui fait en sorte, qu’avec les Dragons, les joueurs peuvent se sentir mieux parce qu’ils sont en groupe. C’est thérapeutique», estime-t-il.

Hétérosexuels professionnels

La promotion de la masculinité crée un cercle vicieux dans le hockey professionnel, croit Charline Labonté. «Le mouvement gai est en pleine force, mais on ne voit toujours pas de joueurs masculins sortir du placard, de peur d’être jugés ou discriminés, s’indigne-t-elle. C’est toujours difficile d’être le premier à faire quoi que ce soit, mais je crois que dès qu’un joueur de la LNH viendra de l’avant et sortira publiquement, c’est tout ce que ça prendra pour briser le tabou.» Patrick Fontaine est un peu moins optimiste, soulevant le fait que les enjeux financiers d’un coming out sont trop importants pour que ça se fasse en toute sécurité. «Il ne faut pas oublier que pour les athlètes professionnels, jouer est un travail et non un loisir. Il y a des commanditaires qui ne sont pas tous prêts à publiquement appuyer un homosexuel dans certaines villes ou régions», souligne-t-il.

L’appui aux gais fourni par la ligue des Dragons ne disparaîtra pas de sitôt, visiblement. «Il y a une partie de moi qui est triste qu’en 2014, on ait besoin d’une ligue du genre pour que des personnes puissent simplement jouer au hockey. Cela prouve que notre société a encore du chemin à faire», se désole Charline Labonté. Simon-Louis Lajeunesse juge quant à lui l’existence des Dragons indispensable, du moins, pour l’instant. «Une culture d’exclus [les homosexuels] est essentielle quand il y encore un tabou l’entourant, considère-t-il. Aujourd’hui, les hockeyeurs gais se regroupent et se trouvent en sécurité grâce aux Dragons, mais j’espère qu’on n’aura plus besoin d’une telle ligue, éventuellement.»

Crédit photo : Facebook : les Dragons de Montréal

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