La crème des bibliothécaires

De tous les  poissons d’avril, il y en n’a qu’un seul qui m’a vraiment fait rire. C’est celui qui n’en était, finalement, pas un. En fait, il faut dire que le 1er  avril était passé depuis un jour déjà quand c’est arrivé.

Hier, donc, c’était la dernière journée d’affichage du poste de directeur parlementaire du budget (DPB) du Canada, que Kevin Page a quitté la semaine dernière. Ce poste, créé en 2008 par le Parti conservateur, a pour mandat, dans un souci de transparence, de fournir une analyse indépendante sur les finances du Canada ainsi que de mesurer les tendances de l’économie nationale.

Je lisais donc, à la fin d’un article du Devoir― il faut toujours lire ces papiers jusqu’à la fin, sans cela on manque des perles rares — qu’en attendant la nomination d’un successeur, le gouvernement Harper a nommé la bibliothécaire parlementaire, Sonia l’Heureux, heureuse remplaçante. Ah, une bibliothécaire! La  réaction de Kevin Page, que je me permets de citer à nouveau, était pour le moins hilarante. «La bibliothécaire est une bonne personne, mais qui n’a aucune expérience en analyse budgétaire.»

Par après je me suis ravisée dans un rire étouffé. Le DPB est un poste qui fait physiquement partie de la Bibliothèque du Parlement, ce qui peut expliquer le choix logique de la bibliothécaire comme remplaçante par défaut. En plus, le gouvernement doit bien se  doter de la crème de de la crème des bibliothécaires. Et puis, bibliothécaire de nos jours, ça demande toujours bien des études. Je suis donc allée lire le CV de Sonia l’Heureux. Non, en fait, je n’y ai pas eu accès. J’ai bien pensé faire une demande d’accès à l’information, mais faute de temps, encore une fois, je me suis ravisée.

Quoi qu’il en soit, dans la présentation de Sonia l’Heureux sur le site de notre cher Premier ministre, on peut voir défiler une foule d’expériences que je n’aurai pas soupçonné appartenir au vécu d’une bibliothèque parlementaire. Parmi celles-ci, analyste des politiques au ministère des Finances, à Environnement Canada et conseillère spécialisée sur la Politique de l’impôt auprès du Trésor australien. Une foule d’autres titres plus longs que mon bras se succèdent.

L’absurdité de nommer une bibliothécaire au poste de directeur parlementaire du budget ne relève pas de la compétence de celle-ci. C’est plutôt la motivation du gouvernement Harper à faire un tel geste qui m’apparaît ridicule. Harper sait très bien ce que le titre bibliothécaire éveille dans l’imaginaire collectif, lui que même les suggestions de Yann Martel ne stimulent pas l’envie de lire. Nommer une bibliothécaire au poste de directeur du budget, même si c’est provisoirement, ça envoie le message qu’on s’en contrefiche de ce poste et qu’on voudrait bien le voir disparaître.

Et pour cause. Dans ce même article, que vous n’avez pas lu jusqu’au paragraphe de la bibliothécaire, on rappelle que ce poste, créé il y a cinq ans par les conservateurs, leur a donné du fil à retordre. Kevin Page a dit avoir dû se battre contre une culture du secret marquée.

Si le poste de DPB doit disparaître, très bien. Si une bibliothécaire occupe le poste, très bien. Mais dans tous les scénarios, ce gouvernement devrait, avant toute analyse budgétaire, évaluer sa crédibilité à tracer la voie vers ce qu’il appelle si fièrement le «gouvernement ouvert».

Émilie Bergeron
Chef de section Société
société.campus@uqam.ca

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