Jeudi, en sortant de mon cours, mon ventre criait famine. À la course, je me suis rendu au local du journal afin de déguster mon sandwich à la bologne sur lit de laitue iceberg. De la grande gastronomie.
J’ai donc, comme à tous les jeudis, traversé de long en large le pavillon Thérèse-Casgrain, nommé en l’honneur de la grande féministe québécoise. En traversant le couloir du pavillon qui porte le nom du cinéaste, écrivain et intellectuel d’ici, Hubert-Aquin, mon estomac s’autodigérait. En montant les escaliers roulants du pavillon Judith-Jasmin, une grande journaliste de la Belle province, j’ai reçu un message texte de mon ami qui m’invitait à dîner à son école, le HEC. Mon sandwich à la bologne allait alors encore devoir attendre.
J’ai donc rebroussé chemin vers le métro. Après avoir fait mon transfert à Snowdon 30 minutes plus tard, sentant les derniers glucides ingérés le matin se brûler dans mon corps, je suis sorti à la station Côte-des-Neiges.
Après quelques minutes de marche interminables, je suis finalement entré dans l’enceinte du HEC. Je ne sais pas si c’est ma faim qui m’avait donné la berlue, ou si mon périple sous terrain m’avait transporté dans un univers parallèle, mais je ne me sentais plus chez nous. Incolore, inodore, cette école me paraissait irréelle.
À ma droite, un petit groupe d’étudiants bien mis s’esclaffaient dans la salle de cours Transcontinental. À ma gauche, des étudiants peaufinaient leurs travaux dans un laboratoire informatique à rougir les employés de la NASA.
Abasourdi, j’ai jeté un coup d’œil au message texte de mon ami qui me décrivait le chemin à suivre pour se rendre à notre point de rencontre. «Continue tout droit dans le couloir principal, monte les escaliers. En arrivant en haut, tu vas passer devant le Salon Ultramar, tourne-à-gauche dans le couloir tout de suite après. Passe la salle d’études Pratt et Whitney Canada 1, la salle Home-Dépôt, la salle United Rentals et tu verras, je serai dans la salle Honeywell.» D’un coup, la perspective de manger mon sandwich à la bologne était moins appétissante. Sans les murs bruns et l’activisme des étudiants uqamiens, mon sandwich ne ressemblait plus qu’à un vulgaire sandwich au baloney. Ça m’a coupé l’appétit.
N’en déplaise à mes collègues du HEC, votre école, aussi tapissée de commandites que les bandes du Centre Bell, me dégoûte. Pour moi, l’université devrait être indépendante de toute influence du privé. Parce que le centre commercial qui vous sert d’école a tout d’une usine à travailleurs et très peu d’une institution de haut savoir.
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À l’automne dernier, un possible don de l’ancien dirigeant et fondateur de la minière canadienne Osisko, Robert Wares, destiné à la création d’une chaire de recherche en géologie avait créé une petite tempête. Le nom de la minière Osisko figurait dans l’intitulé de la chaire (voir Une chaire qui vaut son pesant d’or) lorsqu’elle avait reçu l’aval du Conseil académique facultaire des sciences de l’UQAM. Un étudiant en science politique avait alors sonné l’alarme afin d’informer la communauté uqamienne d’une possible intrusion du privée dans la recherche de l’institution. Si tout le monde s’est entendu pour dire que l’introduction du nom d’Osiko dans le titre de la chaire était une erreur de procédure, je me réjouis de la position ultra critique adoptée à l’UQAM lorsque les intérêts privés frappent à la porte. Il est primordial de défendre une recherche tout à fait indépendante des impératifs commerciaux.
À l’heure actuelle, tous les dons de moins de 25 000 $ sont faits de façon anonyme à l’UQAM. Le donateur n’a alors aucun droit de regard sur la façon dont sera dépensé son argent. Lorsque le don excède ce montant, le philanthrope peut cependant signer une entente avec la Fondation de l’UQAM. «La façon dont l’argent est dépensé y est inscrite et décidée en accord avec le donateur. Ce dernier peut également faire la demande afin que son nom apparaisse dans le titre du projet financé», peut-on lire dans l’article de Louis-Philippe Bourdeau.
Ce type de pratique doit être encadré de sorte que les dons faits à la Fondation de l’UQAM, mais plus largement à tout le réseau universitaire québécois, soient faits anonymement. C’est la seule façon de s’assurer que les travaux universitaires continuent à adopter une position critique face au marché privé si primordial au maintien d’une vie démocratique équilibrée.
Ouf. J’ai faim.
Étienne Dupuis
Chef de pupitre UQAM
uqam.campus@uqam.ca
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