Vaut mieux punir que guérir

Écume qui lui pend à la commissure des lèvres, au sommet du bitume. Georges plane. Ses pupilles se dilatent et le soleil se couche une seconde fois pour le badaud.

Dans sa déroute, il croise cette jeune fille. Il la suit comme son phare. Mais sa visible difficulté d’élocution l’empêche de communiquer avec son nouveau guide. Il chancèle, elle a peur. Elle accélère le pas, il la rattrape comme il peut. Il est fasciné, voudrait bien la toucher, voir si elle est vraiment réelle. La jeune femme peine à garder sang-froid. Elle entre dans le premier dépanneur du coin comme pour chercher refuge. Georges la suit en bon disciple. Le pauvre commerçant alerte appelle la police. Georges s’énerve, la jeune fille est sur le point de fondre en larmes. Le caissier balbutie.

Georges, la jeune fille et le propriétaire du dépanneur savent quelle sera l’éternelle rengaine. Georges sera averti pour la énième fois par la police, puis on le relâchera dans sa jungle, laissé à lui-même. Aucune ressource ne sera mise à sa disposition.Et une fois de plus, on cultivera sa marginalité. George est-il vraiment dangereux? L’est-il devenu? Ce soir, tout le monde ravale sa salive, car tout le monde s’est rendu coupable. Tout le monde a échoué.

***

Récapitulons. Le projet de loi C-10 a été adopté au printemps dernier. Au Québec, ça a passé dans le beurre, comme on dit, bien que la province ait été, avec l’Ontario, une fervente détractrice des neufs mesures impliquées, dont le durcissement des peines attribuables aux jeunes contrevenants.

Ce printemps dernier, le Québec avait, disons, la tête ailleurs. L’adoption de ce que plusieurs ont dénoncé à grands coups de casseroles comme la «loi matraque» aura toutefois remis la question à l’ordre du jour: Où en est le Québec dans sa conception de la justice?

Le Parti québécois et Québec solidaire étaient de ceux qui préconisaient le rapatriement du droit criminel pour échapper au Projet de loi C-10. Mais tout de suite l’idée a été écartée par les libéraux qui ont accusé une soi-disante «exaltation de la souveraineté». Je vais vous dire, il serait grand temps qu’on cesse d’avoir peur de faire des choix de société au nom de la dont méchante et effroyable souveraineté.

Et ce n’est pas une question d’argent. Oui, il y aura l’engorgement des prisons engendré par des peines minimales endurcies et le gonflement de la facture refilée aux provinces…Mais au-delà de ces considérations secondaires, le danger est de considérer la justice sur les bases d’un système punitif. La justice n’est pas une vengeance. Une victime ne se sent pas plus en sécurité si l’agresseur écope d’une peine plus lourde. Les détenus ressortiront tôt ou tard des prisons et ils devront s’intégrer socialement. Encore faut-il leur laisser l’opportunité d’une réhabilitation sociale. Sévir plus durement sans même penser au traitement nécessaire à ces criminels, c’est contribuer à les marginaliser. Des individus perdus dans le bitume comme Georges, au bord du point d’ébullition, il y en a à la tonne. Avant qu’ils frappent, il faudrait songer à prévenir.

Et comme l’exposait Victor Hugo dans son oeuvre, le crime d’un homme est attribuable non pas uniquement à lui seul, mais à un échec de la société en entier. En 1834, l’écrivain posait la question : «Qui est réellement coupable ? Est-ce lui ?Est-ce nous ?» La question se pose toujours. Pensez-y bien.

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