Fidèle au poste

Policier retraité émérite, Jacques Duchesneau patrouille dorénavant les couloirs du savoir universitaire, comme étudiant au doctorat et, depuis peu, comme professeur.

D’un pas ferme, Jacques Duchesneau déambule à travers les couloirs labyrinthiques du département de criminologie de l’Université de Montréal, arborant un sourire qui respire la confiance. S’il trimbale une serviette où s’entasse le dur labeur de ses étudiants, c’est tout un bagage d’expériences qu’il charrie au quotidien. Franchissant la porte d’une salle de classe, il s’assoit sur le bureau réservé à l’enseignant avec un aplomb qui lui sied bien. Tout de rouge vêtu, le chargé de cours récemment licencié de l’Unité anticollusion entame la discussion en s’émerveillant devant l’ampleur du mouvement étudiant qui perdure dans ce printemps aux effluves de revendication.

«Ce que j’aime à l’université, c’est la rencontre avec les étudiants qui sont pleins de rêves, ça m’impressionne et ça me stimule au plus haut point.» À 63 ans, Jacques Duchesneau a passé à travers plusieurs grands pans de l’histoire du Québec. Né sous le régime Duplessis, celui qui a œuvré trente ans – «et trois jours», tient-il à préciser – au sein des forces policières a participé aux évènements qui ont façonné la Belle Province. Des grands bouleversements de la Révolution tranquille, en passant par la crise d’octobre 70 et les deux référendums sur la souveraineté, l’ancien directeur du Service de police de la Ville de Montréal en a vu de toutes les couleurs. Il était de la garde du Pape Jean-Paul II au parc Jarry en 1984 et a dû vivre l’éprouvante arrestation de son patron, Henri Marchessault, pour trafic de drogue en 1983.

Il s’est même lancé dans l’arène politique en partant à la conquête de la mairie de Montréal en 1998. Défait, il est sorti la tête haute de l’aventure. «Tout ce qui ne tue pas rend plus fort», déclare t-il, serein. L’expérience politique de Jacques Duchesneau, bien qu’infructueuse, lui a appris beaucoup sur lui-même. Celui qui n’a pas la langue dans sa poche affirme qu’il n’était pas fait pour la vie politique. «Je ne suis pas prêt à faire les courbettes nécessaires pour maintenir une ligne de parti», clame-t-il sans vergogne. En 1989, il a vécu de près la tuerie de Polytechnique en tant qu’officier. «J’ai deux amis dont leur fille a été assassiné, se remémore, des trémolos dans la voix, l’ancien agent de la paix. J’ai eu un blocage et ne suis pas retournée à l’université pendant cinq ans.
Jacques Duchesneau a le courage de ses ambitions. Le regard fougueux, nostalgique, il revient sur son passage à l’école d’entraînement de la police en 1968. «Un jour, l’instructeur nous a demandé où on serait dans 25 ans», lance-t-il, joueur. Si ses camarades de l’époque se voyaient comme policier à cheval ou enquêteur, il en était autrement pour l’homme dans la fleur de l’âge. «Quand il est arrivé à moi, je lui ai dit que je voulais être chef de police. Tout le monde est parti à rire, laisse-t-il tomber, la tête haute. Quand je rentre à quelque part, je vise les sommets.»

École perpétuelle

Chargé de cours à l’université depuis 2009, Jacques Duchesneau est bien humble quant à l’impact de son enseignement sur la vie de ses étudiants. Il espère néanmoins être une source d’inspiration. «Ce qui les impressionne le plus, c’est que je ne parle pas la langue de bois, lâche l’ancien militaire, candide. Je leur apporte ma vision et il ont droit d’être d’accord ou non.» Une de ses étudiantes, Nadia Brisson, croit que le pactole d’expériences de Jacques Duchesneau est le plus grand atout de son chargé de cours. «Lors de la première séance, il a fait un survol de sa carrière. Normalement, lors des premiers cours, les étudiants se cachent derrière leur ordinateur pour faire autre chose qu’écouter, explique-t-elle. Cette fois, les 97 étudiants présents étaient pendus à ses lèvres, avides d’en savoir plus.» Elle ajoute que l’intérêt de Jacques Duchesneau pour l’enseignement est palpable. «Je fais ça parce que j’aime ça, exprime le sexagénaire en gesticulant. Si je m’aperçois que je suis un vieux qui radote et qui est déconnecté, je vais m’en aller chez nous.»

Mais la connaissance demeure l’ombilic de la vie de cet éternel étudiant. Originaire de la paroisse de l’Immaculée-Conception, un quartier démuni du Plateau-Mont-Royal à l’époque, Jacques Duchesneau a dû arrêter l’école tôt pour faire vivre sa famille. Qu’à cela ne tienne, à l’emploi de la police à temps plein, il a complété son cégep, son baccalauréat et sa maîtrise en suivant des cours de soirs. «Ça a toujours été une passion pour moi, les études, et j’ai toujours eu de la facilité, raconte-t-il, un brin de nostalgie dans la voix. Quand j’arrivais chez nous et que je montrais mon bulletin, ma mère pleurait. Elle disait qu’on était pauvre, mais pas nono.»

Jacques Duchesneau carbure toujours à la didactique. Détenteur d’une maîtrise en administration publique, il complète présentement un doctorat en conduite de la guerre au collège militaire royale de Kingston. «C’est le cadeau que je n’ai pas pu me faire quand j’étais jeune, exprime-t-il, la passion dans la voix. Ça m’oblige à rester sur le qui-vive, à ne pas être sur le pilote automatique.» Le cadeau qu’il s’offre, c’est aussi de côtoyer des étudiants qui l’inspirent.

Photos: Élise Jetté

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