On devrait tous écrire une lettre…

– Devoir accepter le rôle de juré
– Devoir payer l’impôt
– Devoir remplir son rôle d’électeur
– Devoir écrire une lettre avant sa mort.

Ça devrait être ajouté à la liste des devoirs civiques.

Toute personne, à l’aube de la mort, doit écrire un manifeste d’au moins 100 mots. Sont exemptées les personnes qui succomberont à la suite d’évènements fortuits. Cette missive publique sera la propriété du ministère des Lettres de défunts, et consultable à la bibliothèque des œuvres-testaments.

Une manière d’en finir à la fois avec les mystères qui déchirent les endeuillés et de pérenniser le dernier souffle des mourants. Paradoxalement, ces points finaux écrits noir sur blanc pourraient devenir les points de suspension inaltérables de la chaîne humaine. «L’espoir est meilleur que la peur. L’optimisme est meilleur que le désespoir. Alors aimons, gardons espoir et restons optimistes. Et nous changerons le monde.» Et vlan, voilà du travail pour les 100 prochaines années. Imaginez l’inertie déployée: des centaines, des milliers, des millions de lettres qui propulsent l’humanité. Un mort, un coup de pied dans l’cul de l’Histoire. La mort comme élan. La lettre, le prolongement de la vie. Mais non, tous ne sont pas Jack Layton. Il y aurait, dans cette passation ininterrompue du flambeau, ce qu’il y a toujours eu et ce qu’il y aura toujours dans l’humanité: amertume, colère et tristesse. Quand c’est signé Cobain, par exemple.

«Je vous remercie tous, depuis le gouffre brûlant de mon estomac nauséeux, pour vos lettres et l’intérêt que vous m’avez accordé ces dernières années. Je suis quelqu’un de trop erratique, de trop instable. Je n’ai plus de passion, alors rappelez-vous: il vaut mieux brûler franchement que s’éteindre à petit feu. Paix, amour, compassion».

À tout le moins, de temps en temps, la lettre éliminerait quelques présomptions et chasserait quelques lignes dans les revues à potins. «Aucun rapport avec Jean Seberg», nous dira Romain Gary dans sa lettre d’adieu. Ah, bien sûr, la section Règlement de compte de la bibliothèque posthume serait sans doute bien garnie. Mais, de toute manière, les frictions irrésolues n’ont d’autres choix que de gangréner un minimum de paix collective. «Pierre, je m’excuse pour les 100 piasses que je t’ai choppées. Anyway, je crois pas que t’aie remarqué. Ce soir-là, t’étais heureux comme Ulysse. Tu croyais que je savais pas, hein, mais ma femme, une vraie pie. T’en a profité au moins vieux salaud? Ah, pis fuck, les copains d’abord, hein? Mais fais gaffe, si t’amène Lisette au paradis, j’la nique.» Dans ces rinçages, ces cris et ces chagrins du cœur, il y aurait plus à prendre qu’à perdre. Et parfois, dans ces centaines de dépêches quotidiennes, des coups de pied plus sentis, des missives qui transportent de quelques mètres l’humanité entière. Celle de Jack, face à la maladie. Celle de Cobain, face à l’échec. Celle de Lorimier, face à la peine de mort.

«Pour [mes compatriotes] je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant : Vive la liberté! Vive l’indépendance!»
172 ans plus tard, la voix de Marie-Thomas ne s’est pas éteinte. Et quelques mots – et quels mots – propulsent toujours les vivants vers l’avenir.

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