La finance islamique au Québec
Des musulmans ne peuvent acheter de logement au Québec, car les intérêts financiers sont contraires à leur éthique religieuse. Pour encourager ces pratiquants à investir, la province avance timidement sur le chemin la finance islamique.
Certains musulmans qui souhaitent acheter un logement ou investir au Québec butent à un obstacle de taille: les prêts hypothécaires traditionnels vont à l’encontre de leur religion. «L’islam veut que l’argent ne puisse pas produire d’argent, car il ne valorise que le travail», explique Aziz Djaout, consultant en gestion stratégique. Selon l’interprétation de certains musulmans, tout produit financier comportant des intérêts est banni par la charia, tout comme les investissements en lien avec l’alcool, le porc et la sexualité.
Pour répondre à cette clientèle particulière, des institutions financières islamiques sont créées à travers le monde, surtout en Europe. Au Québec, rien de tel. «Il y a quelques initiatives embryonnaires, comme des coopératives financières, mais elles ne répondent même pas à 5% de la demande, soutient Aziz Djaout. Les banques doivent investir pour y faire face, car la finance islamique peut aussi intéresser les non-musulmans.» Selon lui, le Québec est en retard et aura tout à gagner s’il entre dans la course. «Les musulmans ont des liquidités sur leurs comptes courants dont ils ne font rien ou qui sont investies dans leur pays d’origine. L’argent quitte donc le Québec qui perd des sommes élevées.» Ce retard est causé par l’établissement récent de la communauté musulmane au Québec, dans les années 1990.
Une seule solution à Montréal
Dans l’Ouest de Montréal, une coopérative financière islamique appelée Qurtuba aide les musulmans qui souhaitent acquérir un logement, sans intérêts. Le président de cette dernière est Moin Kermani, professeur en commerce à l’université de Concordia et musulman impliqué dans la mosquée Notre-Dame-de-Grâce. Il a constaté le malaise de certains musulmans confrontés aux intérêts. «Pour aider ces gens, on a créé une coopérative: un membre est financé par d’autres membres.» La coopérative paye une partie de la maison et en détient le titre légal, jusqu’à ce que le membre la rembourse, sur une base mensuelle fixe. Lors de sa fondation, en 1991, Qurtuba comptait trois membres et finançait l’achat de deux maisons. Aujourd’hui, elle fédère 300 membres et détient 70 maisons, dont 15 achetées cette année. «Ceux qui viennent ont le sentiment de suivre la loi islamique, donc ils se sentent sereins.» Et le succès est au rendez-vous: la demande est supérieure à l’offre et la liste d’attente est de 12 à 18 mois.
Mohamed Aziz Chraibi, ingénieur et imam, a fait appel à la coopérative. Ce mois-ci, il effectuera le dernier paiement sur sa maison qu’il a achetée en 2004. «Ma femme et moi cherchions à acheter une demeure qui remplissait les critères de l’islam, c’est-à-dire acheter un produit, et non un titre fantôme, sans personne tierce et sans mention d’intérêts.» Cependant, Mohamed Aziz Chraibi relativise cette solution de rechange qui n’est pas sans inconvénients. «La solution de Qurtuba n’est pas simple, car il faut une mise de fonds solide et c’est un risque à prendre puisqu’il s’agit d’une coopérative et non d’une institution financière.»
Une population ciblée
Les individus soucieux de l’éthique religieuse de l’industrie banquaire restent minoritaires. «Si les fondamentalistes se préoccupent des intérêts, la majorité de la communauté musulmane est plus détendue avec ce principe», explique Rachad Antonius, professeur de sociologie à l’UQAM. «Dans les pays musulmans, il y a toujours eu des banques, des investissements, du commerce.» Le mouvement de la finance islamique est récent et s’est organisé dans les années 1970 en Égypte et en Arabie Saoudite.
«Je ne trouve rien de répréhensible à ces règles, ajoute le professeur, mais il y a un impact politique gênant qui dit que les musulmans ne sont pas des citoyens comme les autres. Il n’y a pas de construction d’espace public commun.» Une critique couramment entendue par Moin Kermani. Aux détracteurs qui reprochent à la communauté musulmane d’être un groupe fermé, il répond que ce système n’est pas limité aux seuls musulmans. «Nous offrons ce type d’acquisition alternatif d’une maison à tout un chacun.»
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