La fin d’une saga

Retour en mai 2012, au plus fort de la grève étudiante contre la hausse des frais de scolarité. Alors que plusieurs établissements d’enseignement font l’objet de votes de grève renouvelés, un nouveau front est ouvert. Désabusés par les résultats des assemblées démocratiques, des étudiants à travers le Québec saisissent la Cour supérieure de requêtes d’injonctions afin d’avoir accès à leurs cours. Un revirement majeur qui enflamme les tensions.

S’ensuit un nouveau rebondissement, alors que s’empilent toujours les requêtes : le 18 mai, le projet de loi 78 est adopté, annulant par le fait même toutes les injonctions déposées. Toutes sauf une. C’est ce que le Parti québécois surnommera par la suite la « clause Nadeau-Dubois ». Bien que le projet de loi ait fait table rase des demandes d’injonction, celui-ci laisse expressément le champ libre aux requêtes pour outrage au tribunal.

L’affaire Morasse c. Nadeau-Dubois

Au moment de l’adoption du projet de loi 78, Jean-François Morasse avait déjà déposé contre Gabriel Nadeau-Dubois, alors porte-parole de la Coalition large de l’ASSÉ (CLASSE), une accusation d’outrage au tribunal. Il lui était reproché d’avoir affirmé, dans le cadre d’une entrevue sur les ondes de la chaîne RDI, la légitimité des votes de grève et des moyens entrepris pour les défendre face aux demandes d’injonction. Jean-François Morasse ayant obtenu quelque temps auparavant une injonction forçant l’Université Laval à lui dispenser ses cours, l’intervention du porte-parole s’apparentait, à ses yeux, à un outrage. Il a donc déposé une requête en ce sens à la Cour supérieure, entamant ainsi une procédure judiciaire qui durerait plus de quatre ans.

En découle une première décision de la Cour supérieure, qui déclare Gabriel Nadeau-Dubois coupable d’outrage au tribunal. Il est condamné à 120 heures de travaux communautaires. À la suite d’un appel déposé par le défendeur, la Cour d’appel du Québec infirme à l’unanimité la première décision, le 22 janvier 2015. Jean-François Morasse décide alors de saisir la Cour suprême, qui rend son jugement le 27 octobre 2016.

Un jugement prudent, mais pas sans mérite

Bien entendu, la Cour n’avait pas à se prononcer sur les relations entre pouvoir judiciaire et liberté d’expression. Encore moins à se positionner sur l’à-propos de la judiciarisation d’un mouvement social-démocrate. Plutôt, la majorité a choisi de se limiter à la teneur des propos de Gabriel Nadeau-Dubois en regard à l’accusation d’outrage au tribunal, ainsi qu’à sa connaissance de l’injonction au moment des actions reprochées. En ce sens, le demandeur devait prouver que « l’ordonnance du juge Émond était claire, que M. Nadeau-Dubois en avait connaissance et qu’il avait intentionnellement fait ce qu’interdisait l’ordonnance ». La majorité a conclu que le demandeur n’avait pu établir adéquatement la connaissance qu’avait le défendeur du jugement. De plus, l’ambiguïté de sa déclaration ne pouvait permettre d’établir qu’elle avait pour but ou pour intention d’inciter à ne pas respecter l’injonction en question, ou plus largement, de dénigrer l’administration de la justice.

Sur la question de l’application de l’infraction d’outrage au tribunal, la majorité a toutefois tenu à souligner « qu’au Québec, le pouvoir de déclarer une personne coupable d’outrage au tribunal en est un d’exception » et qu’il s’agissait « d’un pouvoir qui ne doit être exercé qu’en dernier recours ». Certains pourront reprocher à la majorité de ne pas avoir pris de front la question de la liberté d’expression, vis-à-vis du respect de l’intégrité du système judiciaire et de ses décisions. Cependant, la Cour suprême aura tout de même rappelé le caractère exceptionnel de l’outrage au tribunal, qui ne devra être évoqué que lorsqu’il est véritablement essentiel pour protéger la justice.

Injonctions et votes de grève : une question qui reste en suspens

À tout le moins, la question de la judiciarisation d’un mouvement social démocratique demeure hasardeuse. Si le droit de présenter un recours en justice est un pilier fondamental dans notre société de droit, nous ne pouvons ignorer les conséquences qu’auront eues les requêtes d’injonction sur le climat social québécois, déjà tendu par une mobilisation politique inédite. Si le projet de loi 78 a rendu les injonctions ineffectives, les confrontations entre les étudiants piqueteurs et les forces policières aux portes des cégeps Rosemont et Lionel-Groulx auront donné un triste aperçu d’un dérapage en règle.

N’oublions pas non plus que l’outrage au tribunal — la seule procédure civile au Québec pouvant mener à un emprisonnement — a historiquement été utilisée comme outil de répression politique. Il suffit de citer l’exemple des chefs du Front commun de 1972 qui, après avoir appelé leurs membres à défier le retour au travail forcé par le gouvernement Bourassa, ont dû purger une peine d’une année d’emprisonnement chacun. À tout le moins, réjouissons-nous que l’outrage au tribunal ait fait l’objet d’une lecture balisée par la majorité et qu’elle n’ait pas été le pion d’un plus grand jeu politique.

 

L’auteur est  étudiant au baccalauréat en droit à l’UQAM.

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