Des rédacteurs clandestins

Entre 350 et 500$. C’est le montant qu’il faut débourser pour faire rédiger son travail universitaire. Montréal Campus est allé à la rencontre des rédacteurs fantômes pour qui la tricherie académique est un domaine lucratif.

Jeudi matin gris, un jeune homme entre au café Starbucks en balayant nerveusement l’endroit des yeux. Roman à la main, écouteurs sur les oreilles, il porte une veste de cuir et une tuque peu enfoncée sur sa tête. Philippe vient rencontrer le Montréal Campus qui, sous une fausse identité, lui demande de rédiger un travail de 10 pages en science politique. Comme plusieurs, il réalise des travaux universitaires en échange d’argent.

Trouver un rédacteur pour faire son travail universitaire s’avère un véritable jeu d’enfant. En naviguant sur le site Internet Kijiji, six annonces en ligne proposent clairement des services de rédaction de travaux universitaires moyennant une rémunération. Des annonces du genre sont aussi affichées sur les babillards de l’UQAM. Sur les sept publicités, le Montréal Campus a reçu cinq réponses positives en moins de 24 heures. «Je peux te faire ça cette semaine, mentionne celui qui veut se faire connaître sous le pseudonyme de ghostwriter. C’est connu comme Barrabas dans la passion.» Jointe au téléphone, Juliette, une autre rédactrice clandestine, était elle aussi prête à commencer le travail rapidement pour qu’il soit complété avant la date de remise. «Il est important qu’on puisse vérifier le résultat ensemble pour que ça soit conforme à ce que le professeur veut», précise-t-elle.

Pour Philippe, il est primordial que l’étudiant s’approprie le contenu du travail. «C’est important que tu sentes que tu puisses avoir écrit ce travail-là afin d’éviter les soupçons de l’enseignant.» Pour ne pas que l’enseignant détecte que le travail a été fait par quelqu’un d’autre, il s’assure que l’étudiant soit dans une classe nombreuse ou qu’il n’ait jamais remis de travaux à l’enseignant en question s’il fait partie d’un plus petit groupe. «J’ai refusé de faire des travaux parce que le gars était trop chummy avec le prof, ajoute l’étudiant au doctorat en philosophie. Si une personne n’est pas francophone, je lui dis de réécrire le texte, de faire des fautes. Il y a un autre effort de camouflage à faire.» Pour éviter les problèmes, il garde confidentielle sa relation avec ses clients et ne parle d’eux à personne, même pas à ses amis qui sont toutefois au courant de sa carrière atypique. « C’est comme lorsqu’on va chez le médecin, ça reste entre eux et moi.»

Quant au contenu, Juliette ne pense pas qu’il pourrait contrevenir aux règlements de l’UQAM. «Ce n’est pas du plagiat, parce que vous ne l’avez pas pris sur Internet», souligne-t-elle.

«Faux!», rétorque la bibliothécaire à l’Université de Montréal, Myrian Grondin, qui offre, quant à elle, ses services pour corriger des travaux à temps partiel. Faire écrire un travail par quelqu’un d’autre constitue une grave infraction universitaire, martèle-t-elle. «On s’approprie à 100% le travail de quelqu’un d’autre en le faisant passer pour sien. La personne qui l’écrit est complice dans le plagiat de l’autre.» L’article 1.2b du règlement concernant le plagiat à l’Université de Montréal le stipule clairement. «Constitue notamment un plagiat (…) l’exécution par une autre personne d’un travail ou de toute autres activités faisant l’objet d’une évaluation (…).» Sur son site Internet, la bibliothèque de l’UQAM donne comme exemple de situations de plagiat: «Utiliser le travail d’une autre personne et le présenter comme le sien, et ce, même si cette personne a donné son accord.» Le règlement académique officiel de l’Université est plus vague quant à la définition de cette infraction, en indiquant seulement qu’il est interdit de produire un «faux document» et de faire une substitution de personne lors d’une évaluation.

La direction de l’UQAM se dit préoccupée par la situation et est consciente de l’étendue du phénomène. Le règlement 18 sur le plagiat prévoit diverses sanctions pouvant aller jusqu’au renvoi d’un étudiant qui commet ce genre de faute. «À ma connaissance, l’étudiant qui se fait prendre paie beaucoup plus cher que ce qu’il peut avoir déboursé ou touché pour produire le document en question en raison des effets et conséquences des sanctions sur ses études, mais également dans la recherche d’emplois par la suite», souligne la vice-rectrice au Soutien académique et à la vie étudiante, Diane Demers.

Passer à la caisse
Selon les informations obtenues par le Montréal Campus, s’acheter un travail universitaire peut coûter plusieurs centaines de dollars. «Je charge à l’heure», précise Philippe. La qualité de la rédaction est aussi un critère qui fait fluctuer son coût. «300-350 $, ça, c’est mon prix pour ton travail, lance Philippe, qui précise que le paiement se fera une fois le travail terminé. Je ne pense pas que tu vas trouver un travail de qualité en bas de ça. Si quelqu’un te propose de le faire pour 150 $, c’est clairement une arnaque.» Son tarif varie toutefois selon ses intérêts. «J’ai déjà travaillé avec des gars, je leur chargeais 30 $ de l’heure, parce qu’ils me faisaient faire des trucs que je détestais faire et ils avaient les moyens de me payer. Certains m’ont même déjà payé en iPad.» Quant à Juliette, le prix qu’elle impose est flexible, variant de 300 à 500 $. «Si c’est trop cher, je peux descendre mon prix aussi. Je veux vraiment vous aider», mentionne-t-elle.

La demande pour ce type de service est bien présente, selon Philippe. «J’ai eu 35 clients et ça fait six ans que je fais cela. Je travaille beaucoup au HEC, c’est un bon marché. L’an passé je travaillais pour un type là-bas qui me faisait faire tous ses travaux», raconte celui qui a un bac en science politique et un MBA.
Après une demande d’entrevue en bonne et due forme du Montréal Campus, Juliette a tenu à réitérer qu’elle acceptait de rédiger des travaux pour aider les gens et que ce n’était pas sa source principale de revenus. Philippe a quant à lui refusé de répondre aux questions du Montréal Campus. Il s’est contenté de répondre, par message texte: «Je n’ai aucun problème moral à profiter de la stupidité de certains étudiants. Maintenant, va chier.»

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Les correcteurs très en demande
Parmi la dizaine de demandes que le Montréal Campus a effectuées, plusieurs ont été faites auprès de correcteurs de travaux qui disaient aussi faire de la rédaction. Cela s’avérait davantage de la réécriture de textes. Tous ont refusé de faire le travail au complet. Alain, un correcteur, a toutefois souligné qu’il pouvait faire de la rédaction de travaux en échange d’argent uniquement lors des périodes dites «mortes», comme les débuts de sessions ou l’été. Pour Myra Eva Roussy, une autre correctrice, la frontière est très claire entre corriger et faire un travail complet. «Les étudiants ne sont pas assez conscients de ce que ça représente réellement. Je leur dis que je ne veux pas qu’ils aient un certificat vide, et la plupart comprennent», souligne-t-elle. L’automne dernier, au retour de la grève étudiante, elle dit avoir reçu un nombre record d’appels pour rédiger des travaux.

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