Les cliniques de fertilité exigent de leurs patientes une consultation d’ordre psychologique pour les préparer à ce qui les attend. Le tout à leurs frais.
Noémie* caressait le rêve d’être mère. Célibataire, elle s’est tournée vers la fécondation in vitro. Pour répondre aux normes établies par Santé Canada, elle a dû subir une évaluation psychologique afin que la clinique qu’elle fréquente, Procréa, puisse vérifier si elle était prête à se lancer. Cette évaluation permettait plutôt à sa clinique de l’accompagner dans sa démarche, sans la juger.
La clinique privée Procréa précise que cette rencontre de consultation psychologique d’une heure est obligatoire uniquement lorsqu’il y a un donneur de sperme, comme dans le cas de Noémie. «On regarde le sérieux de la démarche», mentionne un représentant de la clinique. Pour un couple normal, ça dépend si un problème technique est détecté par le médecin. Mais Noémie n’a pas vu la pertinence de la rencontre. «La psychologue a vu en cinq minutes que j’étais correcte. Cette rencontre ne m’a rien apporté. Je me suis plutôt dit que c’était une autre façon pour la clinique de faire de l’argent.» La consultation, non couverte par la Régie de l’assurance maladie du Québec, lui a coûté 140 $.
Chez OVO, lorsqu’un donneur de sperme est impliqué la consultation psychologique est aussi obligatoire. Dans les autres cas, on le suggère fortement. Si la psychologue détecte une pathologie ou un dysfonctionnement significatif chez les personnes rencontrées, elle peut suggérer à la personne de revoir sa décision, mentionne la directrice des opérations chez OVO, Carole Rhéaume. La clinique n’a toutefois pas de réel pouvoir décisionnel sur le choix de la cliente. Elle n’aurait pas pu fermer son dossier et lui refuser les traitements. Si Noémie avait souffert d’une maladie mentale, même avec un avis défavorable de la psychologue, la clinique n’aurait pas pu fermer son dossier et lui refuser les traitements.
Un encadrement de la procréation assistée selon des critères de santé psychologique entrerait en conflit avec les droits fondamentaux de la femme, selon le professeur de droit de la famille et des enfants à l’Université de Montréal, Alain Roy. «C’est comme si on donnait un statut juridique à l’enfant, alors que tant qu’il n’est pas né, il n’en a pas, car il fait partie du corps de la femme. C’est très embêtant.» Il rappelle qu’en cas de problème, la Direction de la protection de la jeunesse pourrait prendre l’enfant en charge dès la naissance. Seul un médecin peut refuser de procéder à une intervention s’il juge qu’une grossesse pourrait nuire à la santé d’une patiente.
Pour Carole Rhéaume de chez OVO, ces séances sont importantes, car elles permettent aux couples de se préparer mentalement à la naissance de l’enfant. L’expérience de Noémie s’est avérée positive, mais il y a des risques d’échec et la clinique veut préparer les patientes à cette éventualité plutôt que de discriminer les futurs parents. «Ça leur permet de faire une prise de conscience. Ils réalisent dans quoi ils s’embarquent», mentionne la directrice. Elle juge que peu de rencontres sont suffisantes pour préparer psychologiquement le couple.
L’obligation de procéder à une consultation psychologique lorsqu’il y a un donneur de sperme ou une donneuse d’ovule demeure une norme établie dans le milieu de la procréation assistée et non une loi. Selon le professeur de droit Alain Roy, aucune base juridique n’encadre la capacité à être parent lorsque l’enfant n’est pas encore né. Il est d’ailleurs d’avis que cela devrait rester ainsi également pour la procréation assistée. «On devrait utiliser le schéma de la procréation naturelle, où il n’y a pas de critères», plaide-t-il. Pour lui, la discrimination en fonction de critères autres que ceux relevant de la santé physique ne serait pas souhaitable.
Bien qu’elle soit seule à élever son fils, Noémie tenait à ce qu’il puisse éventuellement connaître l’identité de son père biologique. C’est pourquoi elle est passée de Procréa à OVO. Chez Procréa, on refuse d’utiliser du sperme de donneurs qui acceptent que leur identité soit révélée à leur progéniture éventuelle, ce qu’OVO permet. «J’estime pour ma part que cette demande est parfaitement légitime», conclut-elle.
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Preuve à l’appui
Un couple qui fréquente une clinique de fertilité doit d’abord passer des tests pour vérifier s’il s’agit de l’homme ou de la femme qui est infertile. La clinique exige ces tests au début du processus, afin de déterminer quel moyen de procréation assistée sera le plus adéquat pour le couple. Une personne ne pourrait donc pas exiger d’emblée la fécondation in vitro ou l’insémination. C’est plutôt la clinique qui a le dernier mot sur le choix de la méthode employée.
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D’autres règles pour l’adoption
En cas d’adoption, les critères d’ordre psychologique sont différents. Le Code civil du Québec prévoit l’obligation de passer une évaluation psychosociale. «C’est différent de l’adoption, car dans ce cas-là, l’enfant existe déjà, il est déjà né, il a donc des droits, alors que dans le cas de la procréation assistée, l’enfant est un projet», souligne Alain Roy. Le Code civil reconnaît depuis 2002 aux couples homosexuels et aux femmes seules de recourir à la procréation assistée. Toutefois, pour lui, le droit àl’enfant n’existe pas pour quiconque. Il considère que chosifier ainsi l’enfant donnerait aux parents des droits qui entreraient éventuellement en contradiction avec les droits fondamentaux de leur enfant.
*Nom fictif
Illustration: Lisa Traversy
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