Compte en souffrance

Endettement des étudiants en médecine

Avides de séduire une clientèle prometteuse, les banques offrent des prêts mirobolants aux étudiants en médecine. Libres de soucis financiers, ils peuvent se consacrer à leurs difficiles études. Mais pour certains, ces créances salutaires se transforment en fardeau financier. Les associations étudiantes et les facultés de médecine s’inquiètent.

Illustration: Dominique Morin (spoutnik-morin.net)

De 150 000 à 200 000 dollars. C’est en moyenne ce que les institutions financières offrent sur un plateau d’argent aux futurs toubibs pour la durée de leurs études. La médecine occupe le haut de la liste exclusive des «études à haut rendement», un statut qui définit les voies universitaires menant à de généreux salaires. En plus des différentes branches du domaine de la santé, le droit, le génie, le notariat, la comptabilité et la haute administration complètent ce club sélect pour qui les banques déroulent le tapis rouge. 

En 2006, une étude commandée par la faculté de médecine de l’Université Laval révélait que près de 40% de ses étudiants cumulaient une dette de plus de 30 000$ après leurs trois premières années d’études. Un chiffre toujours valide, selon le Dr Guy Pomerleau, qui travaille à la direction des affaires étudiantes de la faculté. «Le crédit est très facile. Chaque année, je rencontre quelques étudiants qui atteignent la limite de leur marge de crédit de 150 000$ après trois ou quatre ans d’études seulement. Ce sont souvent des étudiants qui  se sont endettés lors d’études antérieures», précise celui qui épaule les étudiants pour planifier le financement de leur cheminement scolaire. «J’ai une certaine inquiétude devant le niveau d’endettement des futurs médecins, ajoute-t-il. Ce que je trouve embêtant, c’est la voracité des institutions financières, qui s’arrachent cette clientèle prometteuse.» Le docteur assure cependant que la majorité de ses étudiants n’a pas de grave problème d’endettement.
Quand la dette hypothèque la carrière

A priori, les dettes impressionnantes cumulées par les étudiants en médecine ne devraient pas être problématiques. Après tout, les futurs médecins compteront plus tard sur des emplois bien payés et garantis. «On connaît tous des collègues qui ont 70 000 ou 90 000 $ de dettes», relate le président de l’Association des Étudiants et Étudiantes en médecine de l’Université de Montréal (AEEMUM) Éric Peters. «Pour certains, les marges de crédit servent à payer les études, d’autres l’utilisent pour profiter de la vie: pour faire un voyage durant l’été, par exemple. Il faut comprendre qu’avec la charge de travail imposé par le cursus de médecine, il est pratiquement impensable de travailler à temps partiel pendant l’année scolaire.» 

Le président de l’AEEMUM souligne cependant que l’endettement important de plusieurs étudiants n’est pas sans conséquence. «Les médecins ont beau avoir de bon salaires, les dettes peuvent influencer les projets de vie. Le temps de rembourser leurs créanciers, les jeunes médecins retardent parfois l’achat d’une maison et attendent avant de fonder une famille.» 

Le poids de l’endettement pèserait également sur l’état psychologique de certains étudiants, qui vivent avec le stress de voir leur dette gonfler inéluctablement au rythme des taux d’intérêt. «Dans de rares cas, des étudiants persistent en médecine en dépit du fait que ça ne les intéresse plus, parce que s’ils décrochent, ils se retrouvent avec leurs dettes sur les bras, se désole Éric Peters. Ces étudiants préfèrent taire leur situation pour ne pas entacher leur réputation: ça pourrait nuire à leur future carrière.» 

Outre ces cas extrêmes, les soucis pécuniaires affecteraient peu les étudiants en médecine, selon les observations du docteur Ramses Wassef, qui œuvre au Bureau d’aide aux étudiants et aux résidents en médecine de l’Université de Montréal. «Bien que ce soit une préoccupation de plus en plus présente dans les bureaux d’aide des facultés de médecines, j’ai personnellement rencontré peu d’étudiants sévèrement endettés.» Le docteur souligne toutefois l’importance de la sensibilisation accomplie auprès des étudiants en première année, pour les inciter à être vigilant devant les avances aguichantes des banques. 
Tourner le dos à la médecine familiale

Intimidés par d’imposantes créances, de futurs médecins se dirigent vers les spécialités, mieux rémunérées, alors que le manque de médecins omnipraticiens continue d’affliger le réseau de la santé québécois. C’est ce qui ressort du plus récent sondage médical étudiant mené par la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ), dont les résultats seront dévoilés plus tard cette année. Le Dr Guy Pomerleau, de l’Université Laval, a aussi rencontré quelques étudiants qui ont fait des choix de carrières pour des motifs financiers. «C’est important que les étudiants choisissent leurs champs de pratique selon leurs goûts et leurs aptitudes, et non pour des questions financières.» 

Pour leur part, les banques disent s’assurer de bien encadrer leurs clients médecins en devenir. «On élabore un budget annuel avec chaque étudiant», explique le directeur du développement des alliances et des affinités de la Banque Nationale, Mehdi Perrault. Le directeur n’a jamais vu de cas de faillite dans ses six années au service de l’institution financière. 

La présidente de la FMEQ, Myriam Auclair, préfère montrer du doigt les frais toujours plus importants que doivent défrayer les futurs médecins plutôt que les facilités de crédit offert par les banques. «L’aide financière du gouvernement ne suffit plus pour payer les frais de scolarités, les livres, l’équipement médical que les étudiants doivent acquérir et, surtout, les frais associés aux examens d’entrée en médecine, énumère-t-elle. Dans ces circonstances, les marges de crédit des banques sont considérées comme un service indispensable.»

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