Mort d’un insurgé

Décès du dernier commandant du ghetto de Varsovie

Au printemps 1943, quarante survivants réussissent à fuir le ghetto de Varsovie, détruit par les Allemands. Parmi eux Marek Edelman, un des commandants de l’insurrection juive. Portrait postume d’un des derniers témoins de la Shoah.

Le 2 octobre 2009, Marek Edelman est décédé à l’âge de 90 ans. Il était le dernier commandant de l’insurrection du ghetto de Varsovie, l’une des plus grande rébellions juives durant la Seconde Guerre mondiale. Est-ce que sa mort conclut l’histoire du tristement célèbre ghetto de la capitale polonaise?
Peu de témoins de la Shoah ont eu la chance de laisser leur trace dans l’Histoire. Marek Edelman, pour sa part, a plusieurs fois témoigné de son vécu dans diverses publications et entrevues.

Né en 1919, Edelman était dans la jeune vingtaine lorsque sa famille et lui ont été enfermés dans le ghetto de Varsovie avec plus de 300 000 autres Juifs. Edelman, partisan du Bund, un parti politique socialiste juif, n’a jamais baissé les bras devant la menace allemande. Grâce à son travail de messager à l’hôpital de Varsovie, le jeune garçon était parmi les seuls à pouvoir sortir du ghetto. Il a donc servi de lien entre les Juifs prisonniers et le monde extérieur. Son existence dans le milieu hospitalier lui a également permis de constater l’ampleur des souffrances infligées aux siens par le régime nazi.

Le 19 avril 1943, il était le commandant du Bund lorsque l’insurrection du ghetto de Varsovie a éclaté. Les 400 Juifs qui l’ont déclenché étaient armés de moyens dérisoires: quelques revolvers, des bombes artisanales qui n’explosaient pas toujours et des cocktails Molotov. «L’important c’était de tirer. C’est ce qu’il fallait montrer. Mais pas aux Allemands, pour ça, ils étaient plus forts que nous. Il fallait le montrer à tous les autres. Les hommes croient toujours qu’il n’y a rien de plus héroïque que de tirer, alors on a tiré.» C’est ce que raconte Edelman en 1977 lors d’une célèbre entrevue avec la journaliste et auteure polonaise Hanna Krall. Edelman a réussi à fuir le ghetto avant que les Allemands ne le détruisent complètement, en mai 1943. «L’insurrection n’a été qu’une façon de choisir notre mort. Mais la différence entre choisir la mort et la subir est immense: c’est ce qui sépare l’être humain des animaux».

L’homme engagé

La vie d’Edelman a été consacrée à sa patrie et à ses habitants. Après avoir écrit un compte rendu militaire en 1945, Le ghetto lutte, ensuite publié sous le titre Mémoires du ghetto de Varsovie, Edelman quitte Varsovie pour refaire sa vie à Lodz, petite ville industrielle polonaise. Il a étudié la médecine et est devenu un cardiologue très réputé. Malgré le train de vie effréné imposé par sa profession, Edelman a toujours continué à se battre contre les inégalités sociales. En 1968, alors que la plupart des Juifs fuyaient de nouveau la Pologne à cause d’une vague d’antisémitisme, Edelman militait toujours contre le mouvement. Dans les années 1970, il a participé à l’opposition démocratique contre le régime communiste.

En 1993, Sonia Sarah Lipsyc, docteure en sociologie, a préparé un court-métrage en lien avec le cinquantième anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Elle s’est rendue à Lodz pour y rencontrer le survivant. Edelman, cinquante ans après les événements, était un homme rationnel, posé. Rien à voir avec le militant du Bund prêt à tout pour sauver sa peau.

En 2009, à Montréal, la sociologue se remémore sa rencontre avec le héros. «Il vivait dans un petit deux pièces tout simple. Une table, des chaises, un livre.» La question qui  lui brûlait alors les lèvres: pourquoi n’a-t-il pas quitté la Pologne après avoir vécu de telles horreurs? Parce que, contrairement à plusieurs Juifs polonais, le commandant du Bund a persisté à demeurer en Pologne après la Shoah, malgré les dures conditions de vie. La réponse d’Edelman fait réfléchir: «Il faut bien un gardien de cimetière.» Pour Sonia Sarah Lipsyc, cette réponse démontre toute la sensibilité et l’humanité qui habitait l’homme. «Il est demeuré en Pologne même après le départ de sa femme et de ses enfants pour la France. Voilà un homme intransigeant qui ne fait pas de compromis.»  Sonia Sarah Lipsyc admire le cardiologue pour ses principes moraux et sa droiture d’esprit. Elle raconte fébrilement une anecdote qui l’a particulièrement marquée lors de sa visite à Lodz.  Edelman a refusé de débrancher le téléphone lors de leur entrevue. «Il disait qu’un médecin doit être joignable par ses patients à toute heure du jour ou de la nuit. Il a même quitté pendant quelques heures, en plein milieu de l’entrevue, parce qu’un patient le réclamait.»

Dans sa préface de Mémoires du ghetto de Varsovie , l’historien Pierre Vidal-Naquet dit d’Edelman: «En 1977, l’homme qui parle n’est plus un soldat victorieux dans la plus affreuse défaite, c’est un médecin cardiologue, en fonction dans un grand hôpital de Lodz, au contact d’une autre misère, sans commune mesure certes avec celle dont il a été le témoin en 1942, mais une misère débouchant tout de même sur la mort.»

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