Avoir plus d’une corde à sa harpe

À quatre ans, Rania Boudrias vit le coup de foudre. La harpe aux allures de conte de fée l’a charmée dès le premier regard et occupe la majorité de son temps depuis. Toujours aux études, la harpiste mise sur sa virtuosité et son travail acharné pour vivre un jour de sa passion.

« Rania n’a pas développé une passion pour la musique. Dès le début, c’était la harpe et rien que la harpe », se souvient le père de la jeune virtuose, Jacques Boudrias. 

De retour de vacances en France, lors desquelles Rania a découvert son amour pour l’instrument, elle ne voulait qu’en jouer. « Elle était obsédée, à quatre ans ! [Sa mère] et moi, on a dû trouver une professeure de harpe ouverte à enseigner à une enfant, ce qui ne court pas les rues à Montréal », raconte M. Boudrias. 

« J’ai toujours eu le soutien inconditionnel de mes deux parents, ils n’ont jamais hésité à investir pour soutenir mon rêve », se souvient la harpiste. 

« Une harpe, ça représente un investissement aussi important qu’une voiture, autour des 25 000 $ pour le bas de gamme, mais en même temps, c’est l’investissement d’une vie, donc on n’a jamais hésité », précise M. Boudrias.

L’amour de la musique

Ayant débuté les cours de harpe dès l’âge de cinq ans, Rania a conservé la même enseignante pendant 10 ans. Au secondaire, elle était dans un programme de musique au Pensionnat du Saint-Nom-de-Marie en partenariat avec l’École de musique Vincent-d’Indy. Avant même d’entrer dans ce programme, elle savait qu’elle voulait faire de la harpe une carrière.

Même si être la seule harpiste de son année lui causait de la solitude, elle n’a pas eu l’impression de passer à côté de son adolescence. « C’était une expérience tellement enrichissante et c’est une partie de mon identité. Je n’aurais pas fait les choses autrement », souligne-t-elle. Pour son père, la jeune femme s’est révélée grâce à son instrument.

« Rania, c’est une fille introvertie, mais quand elle joue, sa personnalité et ses émotions rayonnent. » – Jacques Boudrias, le père de Rania Boudrias

Désormais étudiante au baccalauréat en interprétation au Conservatoire de musique de Montréal, Rania précise que le doute est tout de même omniprésent. « Tu te compares aux autres et tu te demandes si tu as ce que ça prend. L’horaire est tellement atypique et intense que ça m’arrive d’hésiter », indique-t-elle.

Pas de chemin tracé

Pour le professeur du département de musique de l’UQAM, Ons Barnat, le doute est commun chez les musiciens et musiciennes. « On a vu plusieurs étudiants frapper un mur, mais c’est comme ça qu’on apprend, il faut persévérer et s’ouvrir aux autres pour se découvrir soi-même comme artiste », remarque le professeur. « Il est vrai que la virtuosité joue pour beaucoup dans la réussite d’un musicien, mais il faut tout de même travailler beaucoup, il n’y a pas de voie royale vers le succès », affirme M. Barnat.

La joueuse de alto – un violon aux sonorités plus graves – Catherine Arsenault soutient elle aussi que le chemin tout tracé n’existe pas. Malgré son parcours qu’elle juge plutôt classique, graduée notamment des conservatoires de musique en Floride, à Baltimore et à l’Université de Montréal, l’altiste pigiste affirme qu’il ne faut pas refuser les opportunités, car « tu n’as qu’une seule chance ». 

« C’est difficile de se faire une place dans le milieu québécois. Tu dois toujours être à ton maximum même si c’est un “petit” contrat, parce que tu ne sais pas qui connait qui », témoigne la soliste dans l’orchestre des Grands Ballets Canadiens depuis 18 ans.

Le milieu de la musique est très fermé et il y a beaucoup de jeunes musiciens et musiciennes qui complètent leurs études. Il est donc très difficile d’y faire sa place, selon elle. Après ses études aux États-Unis, malgré sa grande expérience, Catherine Arsenault savait qu’elle n’aurait pas de place dans le milieu si elle ne revenait pas au Québec. « J’ai fait mon doctorat à l’Université de Montréal et comme ça j’ai pu me faire des contacts, ce qui a été essentiel dans mes débuts », croit-elle.

Même si c’est un milieu compétitif, les deux musiciennes affirment tout de même qu’il y a un beau sentiment de camaraderie. « On est quelques harpistes au Conservatoire et même si on sait qu’il y aura peu de place dans le milieu, on est tout de même soudés », affirme Rania Boudrias. 

Le travail ardu de la musique

En plus de ses cours théoriques au Conservatoire, Rania Boudrias doit pratiquer son instrument de trois à quatre heures par jour dans son temps libre. Cet horaire atypique et ce mode de vie difficile attendent la jeune musicienne pour le restant de sa carrière. En plus de ses cours, elle se pratique actuellement pour des contrats dans divers orchestres comme l’Orchestre symphonique des jeunes de Montréal.

« Lorsqu’elle avait 14 ans, sa professeure lui a dit qu’elle ne pratiquait pas assez. Étant au secondaire, elle mettait tout de même au moins une heure et demie par jour de son temps sur son instrument. Sa professeure lui a demandé de passer à trois heures », se souvient le père de la musicienne.

Malgré ce rythme effréné, le rêve reste le même et les habiletés suivent. Lorsqu’elle était petite, Rania n’arrivait même pas à toucher toutes les cordes de sa harpe. Sous les regards fiers de ses parents, aujourd’hui aux portes du monde professionnel, la jeune virtuose rêve de percer le milieu réputé de la harpe en France, là où son rêve a débuté.

Mention photo : Jean-Sébastien Jacques

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