Les oublié(e)s du Yémen 

Alors que la guerre en Ukraine rythme l’actualité internationale, la situation au Yémen se trouve éclipsée. Entre enjeux géopolitiques et fatigue médiatique, l’une des plus grandes catastrophes humanitaires du monde est passée sous silence.

 « La situation est terrible. Presque toute la population du Yémen n’a pas accès à de l’eau potable ni à de la nourriture. Il n’y a pas si longtemps, un couple de personnes âgées s’est fait battre et voler dans son propre domicile par des jeunes désespérés et affamés. » Voilà les paroles de Nail Salem, un restaurateur québécois d’origine yéménite. Venu au Canada pour ses études, M. Salem a fini par s’y installer pour de bon. Cela ne l’empêche pas de penser à sa famille restée au Yémen, où les affrontements et la famine sévissent dans l’ignorance internationale.

Le 21 septembre 2014 s’installe une ère de violence au Yémen. La prise de la capitale Sanaa, au Nord, par le groupe islamiste extrémiste des Houtis, soutenu par l’Iran et allié de l’ancien président yéménite Ali Abdullah Saleh, a plongé le pays dans une guerre complexe. 

Par peur de voir ces terroristes prendre de plus en plus de pouvoir, l’Arabie saoudite a envoyé des soldats combattre au côté des forces gouvernementales de l’actuel président, Abdrabbo Mansour Hadi. Ces troupes yéménites sont soutenues par les États-Unis sur le plan des armes et de la logistique. D’après Nail Salem, « ce ne sont que des histoires de pouvoir. Personne n’accorde d’importance aux Yéménites ». Le Yémen se trouve pris dans un conflit entre l’Iran et l’Arabie saoudite, selon M. Salem.  

Les lignes de front sont stables depuis 2018. Cependant, les conséquences de la guerre se font ressentir à travers tout le pays. Les blocus aériens, maritimes et terrestres saoudiens jumelés aux prix exorbitants des denrées alimentaires ont créé une famine dévastatrice. 

Des données d’OXFAM Québec indiquent que 80 % de la population yéménite ne mange pas à sa faim. Il leur est aussi impossible d’accéder à des soins médicaux. « Nous sommes plus pauvres que la Somalie », juge M. Salem. 

Une couverture médiatique quasi inexistante 

Trois facteurs expliquent la couverture médiatique déficiente du Yémen, selon le professeur de sociologie à l’Université du Québec à Montréal Rachad Antonius. Premièrement, il y a « un élément purement politique » : les journalistes ne prendront pas la parole si le gouvernement canadien ne s’exprime pas

Deuxièmement, il y a « l’aspect géopolitique. Si les États-Unis ne parlent pas [de la guerre au Yémen], le Canada ne le fera pas », croit M. Antonius.

Enfin, l’aspect du « sensationnalisme » : « aucun événement marquant n’a affecté la guerre au Yémen depuis les dernières années, ce qui n’attire pas l’attention des médias », explique M. Antonius. 

Le journaliste indépendant Jasmin Lavoie, qui a travaillé comme aide humanitaire au Yémen, souligne quant à lui que « le conflit est vieux » et qu’« une fatigue médiatique s’est installée ». 

Rachad Antonius soutient que des enjeux politiques cachés ont une incidence sur ce conflit. Des propos que Nail Salem appuie. « Les [personnalités] politiques aiment la situation telle qu’elle est », défend-il.

Une couverture médiatique plus importante du Yémen permettrait pourtant de comprendre les forces en jeu, d’après Jasmin Lavoie. « Il est très difficile pour les journalistes internationaux de se rendre au Yémen », rappelle-t-il. Les journalistes locaux et locales sont eux-mêmes et elles-mêmes en danger constant. 

Selon M. Lavoie, « il est périlleux de comparer les crises [en Ukraine et au Yémen] en termes d’atrocité : il n’y en a pas une [pire]que l’autre ». Cela ne justifie pas le déséquilibre entre la couverture médiatique de l’Ukraine et celle du Yémen, d’après lui. 

Au Québec, des militants et militantes comme Nail Salem ont tenté d’aider le Yémen en organisant des levées de fonds. Face à l’ignorance de la population envers cette cause, les efforts déployés n’ont pas permis au mouvement de prendre une ampleur importante. 

Pour M. Antonius, une meilleure couverture médiatique du Yémen permettrait une mobilisation citoyenne exerçant une pression sur le gouvernement canadien. Par exemple, une manifestation pour l’Irak qui a rassemblé plus de 250 000 personnes dans les rues de Montréal en février 2003 n’a pas empêché la guerre, mais cette invitation à la paix avait rayonné à travers le monde. 

D’après Jasmin Lavoie, « il existe de nombreux conflits qui ne sont pas couverts comme [celui au] Yémen », et la place allouée aux nouvelles internationales est déjà mince au Québec. 

Mention photo : Malika Alaoui | Montréal Campus

 

 

 

 

 

 

 

 

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