Alors que les carrés rouges déambulaient dans les rues en soutien à la plus importante grève étudiante de l’histoire du pays, plusieurs initiatives artistiques prenaient forme. Entre les affiches, les courts métrages, les illustrations, les chansons et les œuvres littéraires, l’héritage artistique du Printemps érable se fait toujours sentir dix ans plus tard.
Clément de Gaulejac était étudiant au doctorat en études et pratiques des arts à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) au printemps 2012. À l’époque, l’illustrateur cherchait à donner une forme politique à son travail. Le collectif l’École de la Montagne Rouge, formé principalement par des étudiants et des étudiantes en design graphique de l’UQAM et ayant produit une grande partie des visuels du mouvement étudiant, l’a beaucoup inspiré.
Clément a alors commencé à créer des illustrations humoristiques représentant les réponses et les mots d’ordre du gouvernement vis-à-vis de la crise. « Traiter avec humour la brutalité verbale du gouvernement libéral de l’époque, c’était une manière de montrer qu’on pouvait répondre et ramener l’intelligence de notre côté », analyse-t-il.
En plus d’avoir été diffusées sur Internet, ses illustrations ont été imprimées et distribuées dans des manifestations. « On m’en parle encore aujourd’hui », souligne-t-il.
Faire tomber les masques
Selon Clément, le traitement médiatique de l’époque n’avantageait pas les étudiants et les étudiantes, qui étaient dépeints et dépeintes comme étant « violents », « brutaux » ou encore « pourris gâtés ». L’artiste s’était donc fixé l’objectif de « faire tomber les masques » pour montrer sa perception de la grève. « Je voyais les aspirations [du mouvement] qui étaient généreuses et visaient un monde plus égalitaire », témoigne-t-il.
Le cinéaste d’origine française Jérémie Battaglia est derrière le court métrage documentaire Casseroles et le reportage photographique Souvenirs d’un printemps, tous deux portant sur la grève étudiante de 2012.
Pour lui, ces projets étaient une façon de montrer sa réalité, puisqu’il ressentait une certaine déconnexion avec la vision de la grève à l’étranger. « Il y avait beaucoup de questionnements, notamment en France, raconte-t-il. Ils se demandaient ce qui se passait et la vision qu’ils avaient à travers les médias était très violente, ils voyaient un énorme problème d’ordre public. »
Le cinéaste a donc décidé de sortir dans les rues avec sa caméra. Le résultat a été diffusé très largement et est devenu viral à l’international. « C’était une façon de rendre hommage à ce mouvement-là », témoigne l’artiste. Ce dernier mentionne que ce projet lui a permis de se faire connaître, et qu’il a agi comme un déclencheur pour la suite de sa carrière. « Ça faisait trois ans que je vivais à Montréal, et c’est la première fois où j’ai vraiment eu l’impression de faire partie de la société québécoise », se remémore-t-il.
Politiser l’art
Pour Clément de Gaulejac, la grève étudiante a eu un impact important pour les artistes qui l’ont vécue. « Je dirais qu’il y a eu toute une génération qui a accédé à une forme de subjectivité politique et artistique à ce moment-là, et qui est certainement beaucoup plus politisée que la génération précédente », avance l’illustrateur.
Ce dernier ressent aussi un grand impact du Printemps érable sur sa carrière et sa démarche artistique. « Ça a modifié ma façon de faire de l’art, c’est-à-dire que l’engagement et l’utilisation de la satire visuelle sont devenus majeurs dans mon travail artistique », explique-t-il.
Guillaume Desrosiers Lépine, instigateur de l’École de la Montagne Rouge et étudiant en design graphique à l’UQAM au printemps 2012, est du même avis. « Je trouve que ç’a été un moment important pour la politisation de ma génération », affirme celui qui est aujourd’hui professeur adjoint au Département des arts visuels de l’Université de Moncton, et qui s’implique encore à ce jour dans les associations universitaires.
Générateur de solidarité
Selon la professeure au Département de l’histoire de l’art de l’UQAM Ève Lamoureux, l’art occupe un rôle multiple en cas de conflit comme celui de la grève étudiante de 2012. « Un de ses rôles est de sortir de l’austérité des manifestations politiques habituelles pour amener de la poésie, une symbolique et du magique », remarque-t-elle. « C’est aussi une façon d’être plus visible et plus audible. »
Questionné sur la démarche artistique de l’École de la Montagne Rouge, Guillaume Desrosiers Lépine mentionne qu’un désir de cristalliser les idées et les conceptions de la crise était présent. « On a essayé de générer des symboles qui pouvaient parler à l’imaginaire collectif, de tisser des liens par les images et de tisser un réseau de sens à l’intérieur des événements qui avaient lieu », raconte-t-il.
Un devoir de mémoire
Le scénariste Sylvain Lemay et l’illustrateur André St-Georges ont publié la bande dessinée Rouge avril en février, près de dix ans après les événements de 2012. Ils y racontent une intrigue policière ayant comme toile de fond le contexte du Printemps érable.
Pour eux, l’ouvrage s’inscrit dans un devoir de mémoire. « L’art est là pour porter un regard sur le monde et dans des moments de conflit comme celui-là, c’est important de laisser des traces et une mémoire dans la création », explique M. Lemay.
Ève Lamoureux abonde en ce sens. « Ça laisse des traces, mais c’est plus que ça. Ça laisse tout un imaginaire pour les acteurs et les actrices qui étaient là, voire ceux et celles qui n’y étaient pas, mais qui l’ont vu après coup : ça devient des moments emblématiques, et l’art contribue beaucoup à cela », explique la professeure.
« C’est un mouvement qui n’a pas fini d’inspirer, et l’année 2012 va rester dans l’imaginaire collectif québécois pour longtemps », conclut l’illustrateur André St-Georges.
Mention photo Clément de Gaulejac
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