Des luttes étudiantes sans visage

Martine Desjardins, Gabriel Nadeau-Dubois et Léo Bureau-Blouin : les trois visages de la grève étudiante de 2012 contre la hausse des frais de scolarité ont marqué l’imaginaire québécois. Dix ans plus tard, le mouvement renaît de ses cendres, mais celui-ci n’a personne à sa tête.

« Ça ne pouvait pas être Charest — le premier ministre québécois à l’époque — contre les étudiants. Ça prenait des visages », juge l’ancienne présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), Martine Desjardins.

À l’âge de 30 ans, Martine Desjardins est devenue le visage d’une des plus grandes luttes étudiantes de l’histoire du Québec, aux côtés de Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de la Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE), et de Léo Bureau-Blouin, président de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ).

Ensemble, les trois figures se sont présentées à la table des négociations pour contrer l’augmentation de 1625 $ de frais de scolarité sur cinq ans prévue par le gouvernement libéral de Jean Charest en 2012.

Malgré l’ampleur de la tâche et l’intense médiatisation du mouvement, Martine Desjardins se remémore surtout le sentiment de redevabilité qui l’habitait.

La FEUQ rassemblait 125 000 membres provenant d’associations étudiantes de plusieurs universités québécoises. « Je pense que je représentais la totalité de mes membres, mais est-ce que tous étaient d’accord avec les positions [de la FEUQ] ? Pas tout le temps », répond-elle.

Prise deux pour la gratuité scolaire

Le 22 mars dernier, six des sept associations facultaires étudiantes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) se sont mobilisées pour revendiquer la gratuité des frais de scolarité.

Cette date marquait les dix ans de la plus grande manifestation du Printemps érable, où une marée humaine de près de 300 000 personnes s’était emparée des rues du centre-ville de Montréal.

Si les meneurs et les meneuses de la foule étaient, à l’époque, facilement identifiable, la récente manifestation, qui comptait quelques milliers de personnes, n’avait pas de porte-parole clairement nommé(e). Plusieurs membres des conseils exécutifs des associations moblisées se sont adressé(e)s aux médias.

Dans le procès-verbal d’une rencontre de mobilisation organisée par l’Association facultaire étudiante de science politique et droit (AFESPED) de l’UQAM en février dernier, une proposition mentionne que si des porte-paroles pour la gratuité scolaire étaient choisi(e)s, ces personnes ne devaient pas être permanentes « afin d’empêcher une accaparation de la lutte ».

Le responsable à la coordination générale de l’AFESPED, Émile Brassard, explique que les associations doivent représenter leurs propres membres. « Nous n’avons aucune légitimité à parler au nom des autres associations [dans les autres situations] », indique-t-il. Lorsque ces organisations ont un message commun à véhiculer, il précise qu’elles se consultent et désignent une personne responsable pour le communiquer.

Désormais directrice générale de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), Martine Desjardins croit que la nomination de représentants et de représentantes est essentielle dans un mouvement militant. « Les politiques changent grâce aux discussions avec le pouvoir », indique-t-elle.

Selon Mme Desjardins, ces échanges nécessitent l’élection d’un ou d’une porte-parole. « Je ne vois pas le défaut démocratique d’avoir un représentant qui te représente. Si ce n’est pas satisfaisant, on le met à la porte », exprime-t-elle.

Et s’il y avait plus que Greta

Depuis 2012, les nouvelles générations étudiantes au Québec ont trouvé d’autres combats à mener. Contrairement à Martine Desjardins, Gabriel Nadeau-Dubois ou Léo Bureau-Blouin, les nouveaux porte-paroles ne sont pas autant médiatisé(e)s.

En 2019, les grèves mondiales pour le climat, qui avaient mobilisé la communauté étudiante à l’international, étaient surtout représentées par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg.

Au Québec, le coup d’envoi du mouvement avait été donné le 15 février 2019 avec une marche organisée par Pour le futur, un regroupement d’élèves du secondaire. Près de 300 personnes avaient participé à cet événement.

À la fin de cette marche, Albert Lalonde, alors étudiant à l’école secondaire Jean-François Perreault à Montréal, avait été encouragé à lire un texte de sa plume sur la justice climatique devant les participants et les participantes.

Une des instigatrices du mouvement lui aurait alors demandé si ce dernier voulait donner des entrevues aux médias. « C’est de là que tout a découlé », indique celui qui était pourtant nerveux lors de ces présentations orales à l’école. Contrairement aux porte-paroles de la grève de 2012, il n’envisageait pas symboliser la jeunesse militante.

En août 2020, Pour le futur a fusionné avec ses homologues collégiaux et universitaires, soit Le devoir environnemental collectif et La planète s’invite à l’Université. Ils sont devenus la Coalition des étudiants et des étudiantes pour un virage environnemental et social (CEVES), dans laquelle Albert Lalonde a été élu porte-parole.

La CEVES tente d’opérer selon un mode de direction horizontal, loin des dynamiques de pouvoir. Ainsi, son rôle est l’un des seuls à être voté. « C’est complètement subjectif comme travail. Une entrevue peut plaire énormément à une personne et déplaire dans les mêmes proportions à une autre. Les membres de la CEVES ne sont pas un bloc monolithique », commente Albert Lalonde, qui étudie maintenant au baccalauréat en droit à l’UQAM.

Depuis la pandémie de COVID-19, le rôle de porte-parole au sein de la CEVES a tranquillement disparu. Albert Lalonde explique que « les interventions dans les médias sont actuellement réparties entre les membres ».

Une illustration de Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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