Cette édition du Montréal Campus a difficilement vu le jour. Le recrutement de collaborateurs et de collaboratrices est devenu si périlleux que, pour arriver à remplir les prochaines pages, l’équipe a dû se prêter à une partie de Tetris.
Mais où sont nos collaborateurs et nos collaboratrices dévoué(e)s?
Au moment où ces lignes étaient écrites, au moins 18 des 60 étudiants et étudiantes de première année du baccalauréat en journalisme à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) avaient quitté le programme. La grande majorité n’avait même pas complété une session.
Il faut savoir que ni la direction du programme, ni l’Université elle-même ne comptabilisent ces données. « Il n’y en a pas. On a vérifié auprès du bureau du Registrariat et ça n’existe pas. Il les compile uniquement pour l’ensemble de l’UQAM, mais ça n’a jamais été découpé par programme », affirme le directeur du baccalauréat en journalisme, Patrick White.
L’équipe du Montréal Campus a donc comptabilisé elle-même le nombre d’abandons.
Selon nos propres statistiques, la vague d’abandon a emporté avec elle au moins 29 % des étudiants et des étudiantes en journalisme, toutes cohortes actives confondues.
C’est au moins 30 % pour la cohorte de première année, 32 % pour celle de deuxième année et 26 % pour celle des finissants et des finissantes.
Mis au courant de ces estimations, le directeur du baccalauréat ne souhaite pas commenter « des chiffres qui n’existent pas ».
« Il n’y aucun sentiment alarmiste à avoir, assure-t-il. Des désistements, il y en a toujours eu, et il y en aura toujours, surtout en première année. »
Selon lui, plusieurs étudiants et étudiantes auraient remis en question leur choix de programme en raison de la pandémie de COVID-19 depuis mars 2020, et ce, dans tous les programmes universitaires.
Un bac en presse écrite
Inquiète de l’avenir du métier auquel j’aspire, j’ai voulu comprendre ce qui a poussé ces étudiants et ces étudiantes à partir.
J’ai recueilli le témoignage de certaines des personnes concernées.
Laurence Houle, Rose Viger Vanier et Alice Boulanger ont toutes les trois quitté après une session.
Leurs raisons sont multiples : moins d’intérêt pour le journalisme qu’espéré, déception quant à la qualité de l’enseignement, manque de pertinence des cours, etc.
« On m’a dit que j’étais douée, mais j’ai réalisé que c’est possible de devenir journaliste sans faire un bac là-dedans », raconte Rose Viger Vanier, qui a changé de programme.
D’autres sont toujours inscrits et inscrites seulement parce qu’ils et elles ont le sentiment d’être rendu(e)s « trop loin pour lâcher ». C’est ce que ressent notamment Tom Imler, étudiant en deuxième année.
Ce dernier s’est découvert un intérêt pour le journalisme multimédia, mais il considère que le cursus scolaire ne lui a pas encore offert les outils nécessaires pour se lancer en photo ou en vidéo. « J’ai tellement pas touché à ces aspects-là dans le bac que je devrais faire un autre programme pour les apprendre », indique-t-il.
Charlotte Préfontaine partage cet avis. Si elle sait que la profession est faite pour elle, l’étudiante en deuxième année relève certaines lacunes du baccalauréat. « Je trouve juste qu’on nous vend quelque chose et qu’on nous donne autre chose. On parle d’un bac en journalisme écrit, radio et télé, mais c’est un bac en presse écrite », soulève-t-elle.
Une transition difficile
Finalement, certaines personnes ont obtenu leur diplôme, non sans questionner le choix d’institution tout au long de leur parcours. « Je savais que j’aimais la profession et que j’allais finir journaliste, mais la qualité de l’enseignement m’a fait songer à changer d’institution », se remémore Claudine Giroux, diplômée du programme, qui travaille désormais pour TVA Nouvelles.
Elle soulève plusieurs lacunes concernant l’offre de cours. « Je suis sortie du bac sans savoir comment utiliser une caméra », avoue-t-elle.
En passant de l’Université au milieu du travail, elle a remarqué « à quel point les profs ne sont plus dans la game ».
« Ça fait tellement longtemps qu’ils n’ont pas fait de journalisme que ça affecte la qualité de l’enseignement et des informations qu’ils transmettent », ajoute-t-elle.
Les politiques internes pour déterminer qui offre un cours valorisent l’ancienneté. Selon Claudine, « ça vient compromettre la qualité de l’enseignement, parce que ça ne sera pas nécessairement le prof le plus compétent qui va donner [le cours], mais le plus ancien. »
Une promesse de changement
Toutes les personnes sondées s’entendent pour dire que le baccalauréat devrait être amélioré. Heureusement pour elles, janvier 2022 marquait le début de la réforme décennale du programme.
Un sous-comité d’autoévaluation a été mis sur pied. Il compte une étudiante de deuxième année, un étudiant de troisième année, une diplômée, des chargés de cours, ainsi que des professeur(e)s. Ils et elles seront en poste pendant un an.
Pour recueillir le témoignage des étudiants et des étudiantes, le sous-comité organise une table-ronde le 7 avril 2022, et a créé un sondage d’évaluation confidentiel à remplir avant le 24 avril. Les éléments apportés seront le point de départ pour une réflexion sur les modifications qui seraient à apporter au programme de journalisme.
« Il est possible de retirer et d’ajouter autant de cours que souhaité », indique Patrick White. Il n’est cependant pas question de modifier le processus de sélection du corps enseignant. Ainsi, l’ancienneté demeure l’élément décisif.
« La meilleure façon de faire changer les choses de ce côté-là, c’est en passant par l’évaluation de l’enseignement », avoue Jean-Hugues Roy, professeur et directeur du sous-comité d’autoévaluation.
C’est plus facile à dire qu’à faire, selon Claudine Giroux, qui, aux côtés du comité du programme, a mis sur pied un dossier étoffé pour évincer un professeur. Dossier qui n’a pas été entendu.
L’UQAM est la seule université en Amérique du Nord à offrir une formation francophone de trois ans spécialisée en journalisme. Si l’Université n’est pas capable de retenir ses étudiants et ses étudiantes alors qu’elle les évalue selon leur motivation et leur compréhension du métier, qu’adviendra-t-il de cette profession, qui souffre déjà d’une pénurie de main-d’œuvre?
Une illustration de Magali Brosseau | Montréal Campus
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