Récit des tragédies entremêlées de deux femmes soviétiques dans l’après-guerre, Beanpole de Kantemir Balagov dresse un portrait de résilience, assombri des lacunes scénaristiques. Le film était présenté le 14 octobre dans le cadre du Festival du nouveau cinéma (FNC).
La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer, laissant derrière elle un portrait désolant, une Leningrad détruite parce que trop longtemps assiégée et une URSS valétudinaire, à jamais meurtrie. À l’automne 1945 se retrouvent Iya (Viktoria Miroshnichenko), infirmière, et Masha (Vasilisa Perelygina), soldate, elles qui se sont connues sur le front.
Iya, surnommée Beanpole puisque grande et filiforme, est présentée dès les premiers instants du film dans une criante vulnérabilité. Tandis que se fait entendre le bruit angoissant de respirations saccadées qu’on devinera synonyme d’une pénible condition, l’infirmière se fige : tétanique, elle est par moment prisonnière de son propre corps. À ses côtés, un garçon de trois ans l’appelle maman, à tort. L’enfant est celui de Masha, restée au front en quête de vengeance, et il sera lui aussi victime de cette guerre dont il ne sait rien.
Maintenant réunies à Leningrad et liées par le tragique de leurs destins respectifs, les deux femmes tentent de se reconstruire et de s’émanciper de leurs traumatismes. Partageant une chambre dans un appartement communautaire, Iya et Masha cultivent dès lors un lien d’une complexité déconcertante, ponctué de tendresse et de tension. La bienveillance qui unissait les deux femmes est mise à mal tandis que la plus téméraire des deux, Masha, est habitée d’un projet duquel pourrait bien souffrir Iya. Le second long métrage du réalisateur russe de 28 ans expose l’odieux de l’après-guerre et le funeste de ceux et celles qui tentent d’y survivre. Plongeant dans l’une des périodes les plus sombres de son pays, Balagov dresse avec subtilité le portrait de femmes esseulées avec comme résultante Beanpole, un film d’une profonde justesse.
Sans faute technique
Fort de nombreux plans-séquences de grande qualité, Kseniya Sereda à la direction photo invite l’auditoire à prendre place dans les lieux qu’il dépeint, qu’il s’agisse de l’hôpital moribond où travaillent les protagonistes ou de la chambre exiguë qu’elles occupent.
Balagov renoue pour sa part avec les plans étroits qu’il avait présentés dans son premier long métrage, Tesnota, une vie à l’étroit, en 2017. Bien qu’il en fasse un usage plus parcimonieux dans Beanpole, l’intrusion dans l’intimité des personnages n’en est pas moins poignante. Le duo parvient en somme à créer un décor à l’esthétique feutrée et aux couleurs d’une singulière beauté, mais surtout une mise en scène conforme à la réalité historique.
Beanpole relate un drame humain et le choix des acteurs et actrices était en ce sens indispensable à la réussite du projet. Là encore, Balagov signe un sans-faute. Miroshnichenko et Perelygina transcendent l’écran, toutes deux nuancées et pourtant d’une authenticité troublante. L’une est toute en subtilité et l’autre plus outrancière, une dichotomie que reflète par ailleurs l’apparence physique de chacune.
Les deux protagonistes sont habilement soutenues par des rôles secondaires d’une grande pertinence. À ce registre, relevons la performance de Konstantin Balakirev en héros de guerre devenu tétraplégique que libérera un ultime acte d’altruisme. Alité, s’adressant à sa femme qui se croyait veuve, le personnage de Stepan livre l’une des répliques les plus poignantes du film : « Je suis désolé pour la guerre. »
Crédibilité déficiente
Le regard que porte Balagov sur l’URSS d’après-guerre est d’une originalité déconcertante, certes, mais l’intrigue de Beanpole se développe autour d’éléments incongrus, voire improbables. Si l’auditoire pardonne volontiers le premier de ces faux pas – en raison de l’immaturité de Balagov peut-être –, les éléments subséquents relèvent ni plus ni moins de la maladresse. Du lot, on retiendra un concours de circonstances particulièrement hasardeux qui permettra à l’intrigue principale de se mettre en marche.
Peut-être le rationalisme se perd-il chez ces femmes déchirées par la guerre, mais nul traumatisme n’excuse pareilles déficiences scénaristiques. Bien que la vraisemblance du récit en soit mise à mal, elle n’en perd pas pour autant toute valeur : il faudra néanmoins en faire abstraction afin d’apprécier le génie stylistique de Balagov.
Au-delà des vies fauchées par la guerre, Beanpole raconte la tragédie de ceux et celles qui restent marqué(e)s par l’horreur vécue. Le film sera présenté pour une troisième et dernière fois dans le cadre du FNC, le 19 octobre prochain au Cinéplex du Quartier latin.
Photo fournie par le FNC
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