Travailler au noir pour ne pas perdre une partie de sa bourse d’études, c’est ce que vit Sophie* depuis plus d’un an. L’étudiante au baccalauréat est dans une situation qui, bien qu’elle lui semble nécessaire, comporte son lot d’avantages, mais surtout de stress.
Pour Sophie, le travail au noir ne faisait pas partie de ses plans. Bénéficiaire des prêts et bourses depuis le début de ses études supérieures, elle reçoit entre 8 500$ et 9 000$ du gouvernement par année. C’est lorsque ses parents ne pouvaient plus payer ses cours à l’université qu’elle s’est mise à travailler clandestinement. « Je ne m’attendais pas nécessairement à travailler en dessous de la table, car c’est difficile de trouver un emploi qui accepte ça, déclare la jeune étudiante. Mes patrons avaient besoin d’une employée qui faisait plus d’heures et en même temps, ça me dépannait. »
Il est difficile de savoir combien d’étudiants profitant de l’Aide financière aux études se trouvent dans la même position que Sophie vu, l’illégalité de sa situation. Une réalité qui, justement, peut être parfois vécue en solitaire. « Peu de monde est dans cette situation et si c’est ton cas, tu ne connais pas vraiment de gens avec qui en parler », indique-t-elle.
Les risques du métier
Laurence-Léa Fontaine, professeure au Département des sciences juridiques de l’UQAM, explique qu’un contrat de travail doit respecter l’ordre public et ne doit pas violer les lois, comme l’indique l’article 1373 du Code civil du Québec. Sinon, « l’employé va se trouver dans une situation où il est très démuni, parce qu’il n’a pas de contrat, indique-t-elle. Par exemple, il ne pourra pas réclamer un salaire, avoir accès à l’assurance emploi ou au Régime de rentes. »
Pour sa part, Sophie est payée 10$ par heure, soit en deçà du salaire minimum, et travaille parfois plus de 35 heures par semaine en même temps d’être étudiante à temps plein. « Si j’ai un problème avec mon patron ou avec ma paie, je suis la seule à pouvoir me défendre. Si je me blesse, personne ne me protégera, explique-t-elle. Et je ne peux pas vraiment chercher la compassion d’autrui, cette fraude est aussi mon choix. »
Il s’agit d’une situation qui peut aussi bien toucher des bénéficiaires de l’aide sociale que des étudiants qui reçoivent des prêts et bourses, explique Laurence-Léa Fontaine. Souvent, les travailleurs au noir le font pour ne pas perdre leur revenu. « Il faut se demander pourquoi les étudiants ont recours au travail au noir, dit-elle. Est-ce qu’ils ont besoin de ce revenu supplémentaire parce que les prêts et bourses ne suffisent pas? Est-ce qu’ils sont sous le seuil de la pauvreté ou l’équivalent? » se questionne-t-elle, qualifiant la situation « d’inquiétante ».
[…] je ne peux pas vraiment chercher la compassion d’autrui, cette fraude est aussi mon choix.
Sophie, boursière au baccalauréat
Conciliation bourses et travail
Si la majorité des boursiers travaillent légalement, il est parfois difficile de concilier le travail et ses prêts et bourses. C’est le cas de Viktoriya Manova, étudiante en psychologie à McGill, qui a vécu certaines frustrations à ce sujet. « J’avais travaillé pendant une vente trottoir une fin de semaine et j’avais fait environ 400$. J’ai déclaré ces revenus et deux semaines plus tard, on m’avait enlevé entre 300 et 400 dollars de la bourse que je devais recevoir. En fait, je venais de travailler pour rien », déclare-t-elle avec amertume.
Une situation que Sophie connaît bien. « Il y a deux révisions salariales par année pour obtenir les prêts et bourses, explique-t-elle. Le problème, c’est que si, par exemple, tu déclares que tu n’as pas eu de revenus cette année et que le mois d’après, finalement, tu as fait 700$, c’est tout de suite après ta déclaration de changement de revenus qu’ils vont couper ». En travaillant en dessous de la table, Sophie n’a plus à gérer ce type de calcul. Par contre, elle fait face à d’autres problèmes qui peuvent, eux aussi, lui coûter cher.
*nom fictif
Photo: MARTIN OUELLET-DIOTTE MONTRÉAL CAMPUS
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