Drame quotidien

Jusqu’au 26 octobre, la troupe du Grand Cheval fait son entrée dans le carrousel théâtral montréalais avec Chlore, sa première création à La Licorne. Par ce premier tour de piste, la toute jeune compagnie démontre son sérieux : le Grand Cheval, déjà mature à la naissance, affiche de belles dents, faites autant pour mordre que pour sourire.

Chlore puise dans un fait divers pour raconter l’histoire de Sarah Lacombe (Debbie Lynch-White), fillette de 9 ans qui se fait appeler «gros tas» à l’école et qui fait partie de ces enfants dont les autres enfants ne veulent pas. Deux petits camarades l’obligent un jour à avaler du chlore de piscine : la souffrance la laissera sans corps et sans voix, tétraplégique, confinée entre son désir de vivre et son impuissance à mourir. Son jeune voisin, Richard (Samuel Côté, impeccable), sera à son tour victime d’un supplice dix ans après le drame : pour avoir pissé sur le terrain des Lacombe, il aura l’obligation d’aller voir Sarah toutes les semaines. À défaut de redonner à Sarah son enfance, Richard lui partagera les splendeurs et les misères de  son adolescence : la défiance des parents, l’incertitude de soi-même, la première flamme, la première fois.

Le texte de Florence Longpré et de Nicolas Michon ne cherche pas à disserter sur la méchanceté de l’homme envers l’homme, mais à montrer le drame quotidien, sans issue, d’une famille frappée avec une violence rare par l’absurdité du monde. On comprend les parents de Sarah (Annette Garant et Claude Poissant, très justes dans leur mélange d’espoir et de résignation) de désirer la libération de leur fille. On les comprend aussi d’être incapables de commettre l’irréparable et d’aimer encore l’épave de ce qu’a été leur enfant. On excuse Richard de s’estomper de la vie de Sarah. On se bouleverse de côtoyer de si près la tragédie de l’handicapée, qui en vient à se rejeter elle-même d’être un irrémédiable poids pour tout le monde. En un mot, on sort de Chlore grandi, touché et sincèrement diverti.

Chlore, Mise en sène de Florence Longpré et Nicolas Michon, Théâtre La Licorne jusqu’au 26 octobre

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