En marge dans l’industrie, les maisons d’édition indépendantes doivent souvent se battre pour obtenir une place sur les rayons. En se rassemblant pour aller au front, ils ont maintenant une chance de gagner la bataille.
Goutte d’eau dans l’océan littéraire, l’édition indépendante est souvent le parent pauvre de l’industrie du livre. Prises avec des contraintes importantes autant de diffusion que de production, plusieurs éditeurs indépendants se sont ralliés sous l’égide de l’Alliance québécoise de l’édition indépendante (AQEI) et s’unissent pour mieux régner.
Avant la mise en place de l’AQEI, les maisons d’édition indépendantes n’étaient liées à aucune institution et ne recevaient pas de subventions, ni du fédéral, ni du provincial. «Un petit éditeur fait tout, tout seul. Ça demande beaucoup de temps et c’est à peine si on fait nos frais. Je dirais que c’est presque une vocation, il faut avoir de la passion, du courage et de l’audace», signale Francine Grimard, éditrice aux Éditions À Tout Coeur.
«Avec l’AQEI, on a maintenant un poids culturel. Nous étions fragmentés, mais maintenant, on a un impact», lance avec aplomb Marie Brassard, fondatrice de l’AQEI et éditrice chez Véritas Québec. Le problème principal des éditeurs indépendants est sans aucun doute le manque de moyens pour permettre à leurs publications d’avoir de la visibilité. Le groupe créé à l’automne 2010 permet l’accès à ces ressources. «Le regroupement a permis aux maisons d’édition qui se sont jointes à l’Alliance d’avoir un distributeur, qui diffuse les œuvres dans les grandes chaînes», indique l’ancienne journaliste.
À la solde des géants
Sans l’appui d’un distributeur de poids, les publications des maisons d’édition indépendantes ne se trouveraient pas sur les rayons des grandes chaînes et seraient laissées à elles-mêmes dans la jungle littéraire. Roxane Lalonde, directrice du marketing chez Renaud-Bray, estime que 95% des produits sont issus de grands distributeurs. «Par contre, souvent, même les maisons indépendantes sont distribuées par des grands», nuance-t-elle, ce qui est le cas pour les éditeurs de l’AQEI. Pour leur part, les plus petites librairies ne sont pas aux prises avec les mêmes exigences de vente que les grandes chaînes et peuvent se permettre une plus grande liberté dans le choix des publications qu’ils vendent. Le Port de tête, une librairie indépendante de Montréal, se permet de faire un choix de publications hors-normes. «En acceptant sans sourciller d’avoir sur ses rayons une très grande majorité d’ouvrages de qualité, mais qui n’intéressent que les happy few et donc ne contribuent que bien humblement aux obligations de fin de mois, soutient Eric Blackburn, libraire au petit commerce littéraire de l’avenue Mont-Royal.
Le Port de tête accepte de miser sur la qualité plus que sur le potentiel de vente.»
Question d’autonomie
«On travaille en fonction du public, même si on produit 500 livres, l’important c’est qu’on rejoigne quand même un type de lecteur particulier, qu’on le touche», explique Marie Brassard. Aidés par la structure de l’AQEI, les éditeurs peuvent se permettre d’adopter cette «approche-client». Mais en joignant les rangs de l’Alliance, leur indépendance est remise en question. «Je garde toute mon indépendance. Naturellement, lorsque je désire faire distribuer mes livres via l’AQEI, je signe un contrat et je leur remets un pourcentage des ventes», affirme Francine Grimard.
Financée par ses activités de formation, offertes sans obligations aux membres et par l’adhésion qui se chiffre au coût de 10 $, l’AQEI veut du changement. Forte de ses 85 membres, l’Alliance peut rêver de changement et de rénover le paysage littéraire québécois. La fondatrice s’exprime avec passion lorsqu’elle se met à parler de la mission de son association. «Ce qu’on fait, c’est une action pour la bibliodiversité, pour diversifier le paysage littéraire.» Eric Blackburn, du Port de tête, abonde dans le même sens. Selon lui, cette diversification de la faune romanesque est nécessaire, sachant qu’à peine environ 18% des meilleurs vendeurs dans une libraire indépendante comme le Port de tête sont des publications issues de maisons d’édition indépendantes québécoises.
Avec une quinzaine de publications par mois, l’Alliance québécoise des éditeurs indépendants a pris son envol très rapidement. «Avant, nous n’avions pas la possibilité de grandir, mais maintenant tout est possible, affirme Marie Brassard. Dans le paysage, il y a de la place pour des grands arbres, mais aussi pour des petits arbustes.»
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