Les banques alimentaires sont à court de denrées. À qui la faute? Des intervenants du milieu montrent du doigt la gestion des aliments dans les épiceries à grande surface. Portrait d’une bureaucratie comestible.
Vu le budget serré de plusieurs étudiants, les dépenses pour la «bouffe» comptent inévitablement pour beaucoup. Certains se voient forcés de s’approvisionner auprès des organismes d’aide alimentaire. Face à cette clientèle toujours grandissante, les banques alimentaires se retrouvent en rupture de stock. De leur côté, fournisseurs, commerçants et fonctionnaires se passent tour à tour le flambeau de la déresponsabilisation.
Selon Samy Derriche, ancien commis dans une épicerie Métro qui a été bénévole à la Banque alimentaire de Longueuil, une trop grande quantité de denrées est gaspillée par les entreprises alimentaires. «La plupart des épiceries, boulangeries et fromageries entreposent dans leurs conteneurs des produits qui sont toujours frais, même quelques jours après la date de péremption», déplore-t-il.
En mars 2010, Banques alimentaires Canada enregistrait le plus haut taux de personnes aidées par ses services. Toutefois, 31% des banques alimentaires du Canada manquent de ressources pour répondre à la demande grandissante. Geneviève Grégoire, conseillère aux communications de Métro l’épicier, à Montréal, affirme que de nombreux produits encore comestibles sont retirés en vertu de la loi, qui exige des mesures d’hygiène strictes.
«Les produits ayant une date de péremption doivent être retirés des tablettes deux jours avant cette date. Une rotation journalière est aussi obligatoire sur tous ceux-ci». Une fois retirés des étagères, les aliments appartiennent alors aux fournisseurs, soutient Geneviève Grégoire. «Les produits sont placés dans une section de l’arrière-boutique identifiée “RETOUR”, dans l’attente que nos fournisseurs viennent les reprendre. Ce qu’il advient de ces produits, à savoir s’ils sont détruits sur place ou rapportés, relève des compagnies concernées.»
Les critères d’admissibilité des aliments propres à la vente comme aux dons sont régis par la loi P-29 du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Par cette loi, le gouvernement interdit la distribution de nourriture impropre à la consommation. «D’où les fameux cadenas sur les containers», regrette Samy Derriche. Impossible alors pour les démunis d’avoir accès à leur contenu, au grand dam des ventres vides.
Pour ce qui est des épiceries Métro et ses filiales, notamment Super C et Marché Richelieu, «les articles endommagés, s’ils répondent aux critères exigés du MAPAQ, sont expédiés à une compagnie du nom de Allied, qui redistribue les produits à des banques alimentaires régionales», explique Geneviève Grégoire. Il est toutefois difficile d’établir une constante quant à l’abondance des dons effectués par les supermarchés, répondent tour à tour les gérants d’épicerie, puisque cette donnée varie énormément d’une semaine à une autre.
Des entreprises responsables?
Geneviève Grégoire souligne que plusieurs épiceries, dont Métro, favorisent dorénavant les dons en argent pour venir en aide aux banques alimentaires. «En tant qu’entreprise responsable, être bénéfique pour les collectivités au sein desquelles nous intervenons fait partie de notre engagement.»
Selon le bilan de Banques alimentaires Canada, 27% des organismes desservis n’ont pas de financement approprié. «Nous donnons des millions de dollars par année à des organismes à but non lucratif, affirme Geneviève Grégoire. C’est de l’argent prévu spécifiquement à cet effet. C’est certain que pour les épiceries, la nourriture qu’on donne, c’est de la marchandise que l’on aurait pu vendre. Alors on considère ça comme des pertes».
Normes trop rigides du MAPAQ, gérants d’épicerie trop mercantiles, bureaucratie alimentaire, les affamés ont donc bien des coupables à blâmer. Mais visiblement, ils sont laissés sur leur faim.
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Manque de bénévoles
Ce n’est pas que la nourriture qui vient à manquer, mais aussi les bénévoles. 50% des organismes de charité peinent à trouver le personnel adéquat, pour la plupart non rémunéré. «Moi, j’y ai travaillé un peu plus d’une semaine bénévolement, et c’était parce que j’étais obligé», avoue Samy Derriche. «Par contre, cela s’est avéré une expérience enrichissante», ajoute-t-il. Selon le bilan 2010 de Moisson Montréal, la plus ancienne banque alimentaire recensée au Québec, la majorité des organismes communautaires qu’y s’y approvisionnent (79,7 %) exigent une contribution financière et des heures de bénévolat aux bénéficiaires de l’aide alimentaire. «Pour les organismes qui demandent une contribution en nombre d’heures de bénévolat, la moyenne du nombre d’heures exigées a été seulement de 2,4 heures durant le mois de mars 2010.»
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Guignolée des médias
Denise Deveau, relationniste pour la guignolée de décembre dernier, rappelait la mission essentielle de l’événement. «Fondamentalement notre mission est de sensibiliser la population québécoise à la pauvreté ici au Québec, et ce, à longueur d’année.» La Grande Guignolée des médias célébrait en décembre dernier son dixième anniversaire, établissant des records quant à la quantité de dons perçus. Visiblement, ça ne semble pas suffisant pour pallier la pénurie et assouvir les appétits.
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