Joyce Echaquan : un combat inachevé, cinq ans plus tard  

Il y a cinq ans, une mère atikamekw de sept enfants est décédée sous les insultes à caractère raciste de plusieurs infirmières à l’hôpital de Joliette, dans Lanaudière. De cet événement est né le Principe de Joyce. Malgré l’adoption du principe par plusieurs institutions publiques, le constat est unanime : il reste beaucoup à faire. 

« Vous savez, comme membre des Premières Nations, on le vit encore chaque jour, ce racisme. Ces microagressions, ces situations où il faut défendre notre droit d’être respecté, notre droit d’être soigné », partage Sandro Echaquan, responsable des soins infirmiers au Centre de santé Masko-Siwin à Manawan, en Mauricie. Il regrette de devoir convaincre quotidiennement les membres de sa communauté de se rendre à l’hôpital. Plusieurs d’entre eux et elles craignent de recevoir de mauvais traitements et évitent les services de santé. 

Depuis sa création en 2020, le Principe de Joyce vise à prévenir, à dénoncer et à condamner toute manifestation de racisme envers les Autochtones. L’adoption de ce principe a mis en lumière le manque de sécurité culturelle chez les membres des Premières Nations. La sécurité culturelle vise à créer des environnements où les patient(e)s se sentent respecté(e)s, valorisé(e)s et où leur identité et leurs besoins culturels ne sont ni niés ni remis en question. 

Sandro Echaquan souligne le soutien des institutions publiques qui reconnaissent et appliquent le principe de Joyce depuis sa création. « C’est un engagement formel, mais c’est surtout la reconnaissance du droit à la santé et la reconnaissance de pouvoir utiliser nos propres médecines, nos propres savoirs autochtones », dit-il.

L’importance de la médecine traditionnelle

La médecine autochtone traditionnelle est fortement ancrée depuis des millénaires dans le quotidien des communautés. Une partie de la sécurisation culturelle réside dans la reconnaissance de ces pratiques ancestrales comme approche complémentaire à la médecine allochtone. Elle implique aussi une réappropriation de ces connaissances par les membres des Premières Nations. 

Karine, une artisane atikamekw de remèdes naturels ancestraux présente au colloque sur les 5 ans du décès de Joyce à Trois-Rivières. Mention photo : Eve Bernier

« J’ai été colonisé par la profession d’infirmière. On m’a donné une façon de penser, qui n’est pas la mienne, et j’ai appris à vivre avec. Mais, je me suis vite aperçu que, pour rejoindre les membres de ma communauté, je devais me réapproprier la culture, l’identité, les savoirs, ce que les aînés ont à transmettre », raconte Sandro Echaquan. 

Quelques changements depuis Joyce 

Depuis 2020, plus de 47 ordres professionnels et institutions scolaires en santé à travers le Québec et le Canada ont publiquement donné leur appui au Principe de Joyce. Parmi eux, le Collège des médecins du Québec, l’Ordre des sages-femmes du Québec, le Centre universitaire de santé McGill et la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. 

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec ne figure pas dans la liste.

Depuis l’adoption du Principe de Joyce, les étudiant(e)s en médecine ont des cours obligatoires qui portent sur la santé en milieu autochtone dans leur cursus scolaire. C’est le cas pour tous les nouveaux médecins au Québec, incluant ceux et celles qui pratiquaient ailleurs dans le monde et qui arrivent au Québec. 

Cependant, des militant(e)s autochtones insistent sur la mise en place de formations obligatoires pour les ordres professionnels, afin de pouvoir sensibiliser tous les travailleurs et travailleuses de tous les domaines de la santé. 

Nathalie Duchesne, médecin-conseil du Collège des médecins du Québec, explique qu’il est délicat d’imposer des formations obligatoires à des médecins qui pratiquent depuis plusieurs années. 

Chaque année, les membres du Collège des médecins doivent compléter 25 heures de formation continue. La formation facultative sur la sécurité culturelle offerte aux médecins leur permet de compléter une partie de leurs heures de formation obligatoire. 

« C’est un très gros incitatif, mais ça fonctionne. On remplit toutes les places à chaque fois », se réjouit la médecin-conseil. Selon elle, il s’agit d’une preuve que les médecins ont la sécurisation culturelle à cœur. 

Le racisme systémique, au cœur du problème

En 2024, le gouvernement du Québec a instauré la Loi instaurant l’approche de sécurisation culturelle au sein du réseau de la santé et des services sociaux. 

« [Cette loi] rayonne très faiblement », déplore Michèle Audette, sénatrice innue et commissaire de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Elle revendique qu’il est nécessaire de rendre le gouvernement et les institutions imputables pour la discrimination que les Autochtones subissent au quotidien. Pour elle, la sensibilisation a ses limites et il faut agir. 

L’enquête publique qui a suivi le décès de Joyce Echaquan a décrété que la manière dont Mme Echaquan a été traitée avait contribué à sa mort.

La première recommandation du rapport de l'enquête? La reconnaissance par l'État québécois du racisme systémique.

Cinq ans plus tard, le gouvernement de François Legault refuse d’en reconnaître l’existence. 

« Ce n’est pas seulement un débat politique de reconnaître ou pas le racisme systémique, c’est cette reconnaissance-là qui permet de réajuster les rapports de pouvoir dans le système », explique Karine Millaire, avocate et professeure à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

 Selon elle, si le gouvernement ne change pas sa position face à la présence du racisme systémique, il sera impossible de modifier le système de santé basé sur un modèle colonial. 

La professeure précise également que l’existence du racisme systémique a été reconnue d’un point de vue scientifique et juridique par plusieurs études et de nombreuses commissions d’enquête, notamment l’ENFFADA, réalisée en 2016, ainsi que la commission Viens de 2019. 

À l’échelle nationale, le Canada reconnaît le racisme systémique et met en place des plans pour lutter contre ce dernier depuis 2019.

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