Depuis 1887, des membres de la communauté noire anglophone s’installent dans la Petite-Bourgogne, à Montréal. C’est dans ce quartier bien préçis que tout a commencé pour les Noir(e)s montréalais(e)s : travail dans les compagnies de chemin de fer et création de clubs de jazz.
« Les Noirs ont pu s’installer ici pour aller travailler pour les compagnies de chemin de fer au début du 20e siècle. […] Ils ont pu s’installer dans la Petite-Bourgogne avec leurs familles et avoir la possibilité d’obtenir des logements à prix modique », explique Michael Farkas, président de la Table ronde du Mois de l’histoire des Noirs.

Venant des Antilles, de la Nouvelle-Écosse et des États-Unis, ces gens ont rapidement fait de la Petite-Bourgogne leur foyer. « Ils ont pu créer leur propre ghetto, leur propre village, leur propre bourg », continue M. Farkas.
Le « Harlem du Nord »
« On appelle souvent la Petite-Bourgogne le “Harlem du Nord” », dit M. Farkas. Harlem est un quartier emblématique de New York reconnu pour son patrimoine afro-américain, son héritage jazz et sa vie nocturne dynamique.
La Petite-Bourgogne est, en quelque sorte, son équivalent montréalais. À partir de 1920, les gens apprécient beaucoup le quartier pour ses nuits dites « endiablées ». C’était un endroit qui procurait beaucoup d’amusement aux Montréalais(es), ainsi qu’aux touristes.
« Il y a eu toutes les années de [prohibition], les années où il n’y avait pas d’alcool, mais à Montréal on pouvait en trouver […] alors ça n’a jamais été vraiment sec », raconte Michael Farkas. Plusieurs bars avec de la bonne musique jazz étaient ouverts dans le quartier.
La boîte de nuit noire la plus populaire à l’époque était le Rockhead’s Paradise, appartenant à Rufus Rockhead, un entrepreneur jamaïcain. Ce bar accueillait beaucoup d’artistes jazz américains, tels que Louis Armstrong, Ella Fitzgerald et Billie Holiday.
La Petite-Bourgogne est aussi le lieu de naissance de plusieurs grands noms qui ont contribué à populariser la musique jazz à Montréal dans les années 40. Oscar Peterson, pianiste et compositeur, est le plus illustre d’entre eux et elles. Il a marqué les esprits avec son talent, a gagné plusieurs prix et s’est fait un nom à l’international.
Quelques années après Peterson, Oliver Jones, natif de la Petite-Bourgogne, fait son apparition sur la scène musicale jazz. « On apprécie que monsieur Oliver Jones, qui est une entité du quartier et du jazz, soit un grand porteur, un ambassadeur pour sa communauté, pour les gens qui aiment la musique jazz », souligne Michael Farkas.
Le pivot de la communauté
« C’est intéressant pour les afro-descendants parce que nos institutions ont été très fortes ici. La communauté a été très forte et très résistante, parce que c’était à l’époque de ségrégation absolue », rappelle David Shelton, ancien chef aux opérations du Service de sécurité incendie de Montréal et habitant de la Petite-Bourgogne depuis 26 ans.
Pour combattre la pauvreté et le racisme, la communauté noire du quartier a créé plusieurs institutions et organismes, comme l’église Union United, qui devient « le pivot de la communauté noire anglophone, de la communauté de la Petite-Bourgogne […] », soutient Michael Farkas. C’est l’endroit où tout le monde allait à l’église.


Le Negro Community Center (NCC), au départ installé dans l’église en 1927, servait de lieu de rassemblement aux Noir(e)s. « C’est le centre communautaire des Noir(e)s le plus connu et le plus vieux de tous les centres communautaires de Montréal. Tout le monde reconnaît que c’est, comme on dit, le blueprint », explique M. Farkas. Le NCC a fermé ses portes en 1993, mais reste un symbole fort dans la mémoire des plus ancien(ne)s du quartier.
Un héritage qui perdure
Selon Michael Farkas, la communauté noire de la Petite-Bourgogne s’est effritée au fil du temps avec la construction de l’autoroute Ville-Marie : « Il y avait des magasins, des dépanneurs, des garages. Et en faisant cette construction de l’autoroute Ville-Marie, ça a cassé le village. Et par le fait même, beaucoup de gens de la communauté noire sont partis », constate-t-il.

Autoroute Ville-Marie qui a scindé le quartier. Mention photo : Lilou Ann Santos.
Plusieurs ont donc quitté le quartier pour d’autres de la métropole, comme Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce. « On est peu nombreux à cette heure [dans la Petite-Bourgogne]. On est à peu près six ou sept familles dans les quatre ou cinq rues pas loin de moi », confie David Shelton.
Malgré cela, l’histoire riche de la Petite-Bourgogne n’a pas été oubliée par la communauté, au contraire. « Il y a encore quelques familles, il y a encore un sentiment de fierté extrêmement puissant de la part des familles de la Petite-Bourgogne », soutient Michael Farkas.
La communauté noire anglophone est maintenant dispersée un peu partout à Montréal, mais la Petite-Bourgogne reste un lieu important pour elle. La preuve, l’église Union United est toujours autant fréquentée.
« La Petite-Bourgogne est le berceau des communautés noires […] Tout est parti de là, même si aujourd’hui on est rendu ailleurs. […] On peut être très fiers que la Petite-Bourgogne, ça nous représente », exprime M. Farkas.
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