Game over pour le jeu vidéo québécois?

Julien* a travaillé au service des communications d’Ubisoft jusqu’en 2023. Il fait  partie des 72 personnes ayant perdu leur emploi en novembre au cours d’une vague de licenciements dans le studio montréalais.

Dans un courriel envoyé début 2023 à ses employé(e)s, Ubisoft parlait d’une « révision importante de ses objectifs financiers pour l’année fiscale 2023-2024 ». Pour ce faire, l’entreprise comptait notamment réduire ses dépenses de plus de 200 millions de dollars en se basant sur « des ajustements organisationnels ciblés ainsi que sur l’attrition naturelle », ce qui consiste à ne pas remplacer les employé(e)s qui prennent leur retraite ou qui démissionnent. De plus, trois projets non annoncés ont été annulés à travers les plus de 45 studios d’Ubisoft.

Plus de 400 employé(e)s québécois(e)s de l’industrie ont perdu leur emploi en 2023.

« La balle est dans votre camp pour réussir à lancer ce programme dans les délais et à la finalité attendue, et montrer ce dont vous êtes capables », ont pu lire les salarié(e)s de la compagnie française dans le courriel. Selon Julien, cette remarque est « passée de travers » auprès de ses collègues et lui. Quelques mois plus tard, Julien et 71 autres personnes perdaient leur emploi. Ubisoft a refusé de commenter la situation auprès du Montréal Campus.

Gilles Trudeau, professeur en droit du travail à l’Université de Montréal (UdeM) indique que « quand il est dit que la balle est dans leur camp, c’est comme si les salariés ne performent pas assez ». « Ça laisse supposer que les 200 millions de dollars que l’employeur veut récupérer pourraient l’être si les employé(e)s étaient plus productifs. Ça met de la pression sur les salariés. »

Gilles Trudeau, professeur en droit du travail

Dans un courriel d’Ubisoft envoyé aux employé(e)s, la compagnie dit observer un ralentissement de la croissance du marché dû au contexte économique. Au Québec, les postes de production sont moins touchés par ces coupes, qui se concentrent majoritairement dans les services administratifs et dans l’équipe informatique.

Jean-Jacques Hermans, président de la Guilde du jeu vidéo du Québec, ne croit pas que ces licenciements affecteront les projets en cours. Selon lui, l’industrie du jeu vidéo a connu une très forte croissance entre 2018 et 2022 grâce à la pandémie. Toutefois, « on s’attendait tous à ce qu’à un moment donné, le secteur plafonne et que la croissance se stabilise », explique le président de l’organisme qui est le porte-voix des plus de 300 studios québécois auprès du gouvernement canadien et à l’international.

Vie supplémentaire

M. Hermans ne pense pas que le milieu du jeu vidéo québécois se porte mal pour autant, puisque ce n’est pas le seul secteur actuellement touché par d’importantes mises à pied. Que ce soit chez Desjardins ou chez Québecor, le Québec fait face à des vagues de licenciements dans différents domaines. Les compressions dans l’industrie du jeu vidéo sont vécues à grande échelle. En 2023, ce sont plus de 10 000 postes qui ont été abolis à travers le monde. L’année 2024 ne commence pas mieux, alors que 6000 emplois ont été supprimés en janvier, d ‘après le site Game Industry Layoffs.

Tristan St-Arnaud, étudiant à l’École des arts numériques, de l’animation et du design de l’Université du Québec à Chicoutimi, ne s’inquiète pas de ces récentes vagues de licenciement. « L’industrie du jeu vidéo est en très bonne santé et les perspectives d’avenir dans le domaine ne sont pas un questionnement que nous avons. »

Certaines entreprises ne sont pas touchées par ces compressions. Par exemple, la société belge Larian Studios a un bureau à Québec qui compte actuellement 80 employés et espère atteindre le seuil des 100 salariés d’ici la fin de l’année.

Le problème indépendant

L’importante croissance du jeu vidéo québécois s’est fait ressentir par l’effervescence de studios indépendants dans les dernières années. En 2013, il y en avait environ 40 au Québec. Aujourd’hui, leur nombre dépasse 240.

Ces studios n’ont pas le pouvoir économique des grands joueurs du secteur et se doivent d’être économes, notamment dans le nombre d’employé(e)s qu’ils embauchent. Dominic Arsenault, professeur en jeu vidéo à l’UdeM, explique que ces studios sont obligés de faire une « rotation de main-d’œuvre ».

Il illustre cette rotation en donnant l’exemple d’un designer de jeu. Lorsque la phase de production du design est finie, un petit studio produisant un jeu à la fois ne pourra pas toujours se permettre de conserver cet employé(e). « Si les individus ne sont pas capables de se requalifier dans un rôle secondaire, ça se pourrait qu’on soit obligé de les congédier ». souligne le professeur.

À l’inverse. les grands studios ont l’opportunité d’affecter ce salarié à un nouveau projet plutôt que de supprimer son poste. « Ces grands studios offrent aux travailleurs beaucoup plus de stabilité d’emploi », dit-il.

« Milieu désirable et désiré »

Pour l’étudiant Tristan St-Arnaud, « Montréal est l’une des villes les plus prestigieuses dans le domaine. C’est vraiment une fierté que nous devrions porter. »

Cette renommée fait en sorte que « c’est un milieu désirable, qui est désiré », selon Dominic Arsenault. Pourtant, les conditions d’emploi ne sont pas toujours faciles. Le temps passé au boulot augmente fortement lorsqu’on approche de la date de tombée pour un projet. C’est aussi un milieu de chiffres. Si le jeu qu’un studio vient de sortir ne se vend pas au nombre d’exemplaires espérés, c’est un échec et le studio peut subir des pertes.

Un service d’aide à la carrière a été offert aux licencié(e)s d’Ubisoft.

Pour Julien, ancien employé d’Ubisoft, « l’entreprise utilisait le fait que les gens travaillent là pour la gloire et la nostalgie du studio, étant eux-mêmes des fans ». Ubisoft est un des pionniers du jeu vidéo québécois. Le studio s’est installé au Québec en 1997 et a contribué à faire de la province une figure de proue du jeu vidéo mondial. 

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