La fanafiction québécoise en perte de vitesse

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 mars 2023

La fanafiction, soit l’écriture de récits se basant sur l’univers d’une œuvre préexistante, connaît une baisse de popularité dans le monde francophone. Preuve d’un réel travail de recherche et de création, ces productions demeurent pourtant marginalisées au sein de la communauté littéraire. 

« J’ai toujours pensé que la fanafiction pouvait être un moyen de combler un manque, par exemple quand ta série préférée de livres est finie, mais que tu n’es pas d’accord avec la fin », raconte Gabrielle Legault. L’étudiante au baccalauréat en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a déjà lu et écrit quelques fanafictions à propos de 5 Seconds of Summer, autrefois son groupe de musique préféré.

Le terme « fanafiction », un mot-valise construit à partir de « fanatique » et de « fiction », est plus connu sous son appellation anglaise, « fanfiction ».

Selon Sébastien François, enseignant-chercheur en communication à l’Université catholique de l’Ouest, à Nantes, la fanafiction est un outil d’expression. Écrire de tels textes permet de créer un sentiment d’appartenance à une communauté d’adeptes. 

Que ce soit Dans une galaxie près de chez vous, Harry Potter, Le Trône de fer ou encore Naruto, plusieurs œuvres sont reprises par des fanatiques. Ils et elles peuvent ajouter au texte original des histoires, des fins alternatives ou des relations entre les personnages.

Davantage présente dans le monde anglophone, la fanafiction tarde à percer dans l’univers culturel francophone. « Il y a des marginaux qui s’y intéressent, à gauche et à droite, mais ça n’a pas pris sa place », remarque Jean-Michel Berthiaume, doctorant en sémiologie et chargé de cours à l’UQAM

Un style distinct

Ces textes, produits en majorité par des adolescents et des adolescentes, sont souvent de piètre qualité, juge Gabrielle Legault. Cependant, certaines communautés d’adeptes produisent des œuvres qui dépassent le format d’un livre original. Ces récits peuvent s’étaler sur de nombreuses années et sur plusieurs centaines de pages. « C’est vraiment fou, le dévouement que certains auteurs peuvent avoir. […]  Il y a des gens qui font ça depuis des années. Ce n’est donc pas quelque chose qu’il faut discréditer », enchaîne l’étudiante. Jean-Michel Berthiaume croit également que l’écriture d’une fanafiction découle d’un processus créatif rigoureux, qui nécessite à la fois une excellente capacité de recherche et une connaissance pointue de l’œuvre originale, tout comme un certain talent pour la rédaction. 

Une croissance numérique

Les auteurs et les autrices de fanafiction font des textes très codifiés et utilisent souvent des trames narratives semblables. Par exemple, l’idée qu’Harry Potter entretienne une relation amoureuse avec Drago Malefoy est fréquemment reprise par les auteurs et les autrices de textes alternatifs.

Il s’agit là du « slash », un sous-genre de la fanafiction mettant en scène des relations amoureuses entre personnages de même genre, indique Sébastien François. 

Les fanafictions n’ont rien de nouveau : elles existent en format papier depuis les années 1970. Ces récits ont permis au public féminin de se tailler une place dans diverses communautés d’adeptes, comme celle de Star Trek, majoritairement masculine à cette époque. 

La plupart de ces textes se retrouvent maintenant sur des plateformes en ligne comme Wattpad. « Le numérique a vraiment permis une amplification du phénomène. […] Il y a des centaines de milliers de textes en ligne accessibles actuellement, peut-être des millions », estime M. François.

Aucune statistique n’existe concernant la quantité de fanafictions québécoises. Selon Jean-Michel Berthiaume, c’est plutôt un phénomène anglophone qui s’est très peu développé dans la province. Plusieurs auteurs et autrices francophones choisissent d’écrire en anglais, afin d’accroître leur visibilité.

Le doctorant en sémiologie est toutefois tombé sur quelques fanafictions québécoises. Un croisement entre Harry Potter et Dans une galaxie près de chez vous ainsi qu’un récit s’inspirant de l’émission Unité 9 font partie de ses trouvailles. 

Selon M. Berthiaume, rédiger de la fanafiction n’a rien d’anormal ou d’antisocial. « Cette population est importante et a quelque chose à dire », pense-t-il. Quant aux auteurs et aux autrices, ils et elles défendent la valeur littéraire de leurs histoires, souhaitant que le style se popularise au Québec. « C’est une forme de littérature. […] Il y a vraiment des auteurs qui ont du potentiel et qui ont de bonnes idées. Il ne faut pas sous-estimer [ces histoires-là] », plaide Gabrielle Legault. 

Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus

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