Le mirage du logement abordable

Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022

Lorsque j’ai visité cet été la prestigieuse Université de Washington, à Seattle, j’ai constaté qu’il n’est pas rare d’y côtoyer des étudiants et des étudiantes sans abri. Leurs témoignages abondent sur des blogues comme Reddit, où ils et elles partagent leur réalité avec leurs confrères et leurs consœurs. Quoiqu’on puisse rabattre la faute de ce triste phénomène sur le filet social mal tissé des États-Unis, les facteurs qui fragilisent l’accès au logement des étudiants et des étudiantes à Seattle se réunissent décidément ici aussi. 

Rassurez-vous, je n’avance pas que l’itinérance guette chacun et chacune d’entre nous à tout moment. Avec la crise du logement qui gagne du terrain à Montréal, il devient cependant difficile d’ignorer la précarité qui guette les étudiants et étudiantes de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Cette menace n’est pas toujours explicite. Elle a plutôt l’allure d’un bruit de fond qui, une fois remarqué, devient impossible à ignorer. Je l’entends dans le témoignage de Zoé Desjourdy, une étudiante au baccalauréat en enseignement à l’UQAM qui, faute de rémunération pour ses stages, doit continuer d’habiter chez son père en observant le marché locatif devenir de moins en moins accessible chaque mois. 

Je l’entends aussi quand je vois, sur Facebook Marketplace, des logements 4 ½ qui sentent la rénoviction et qui sont affichés au prix de 2000 $ par mois. 

Récemment, j’ai entendu ce bruit de fond en parlant avec Réjeane, une femme en situation d’itinérance qui se confiait sur l’état des refuges pour femmes à Montréal. « Les filles qui rentrent sont de plus en plus jeunes », m’a-t-elle fait remarquer. 

Ce bruit, je l’entends surtout quand je passe devant l’immeuble de condos de luxe qui se construit à côté de mon bel appartement pas cher, mais un peu défraîchi. 

J’entends ce bruit quand je me demande combien de temps il me reste avant que mon appartement aussi se transforme, comme tant d’autres, en loft industriel-chic. 

Si vous connaissez la méthode scientifique, vous avez sans doute remarqué qu’il ne s’agit là que d’anecdotes. Allons donc voir ce que les chiffres nous disent. 

Selon la plateforme LinkedIn, le salaire moyen d’un étudiant ou d’une étudiante au Québec est de 20,20 $ de l’heure. Imaginons une étudiante qui travaille à temps partiel, comme 15 heures par semaine. Son revenu mensuel brut revient alors à 1212 $. Elle veut partir en appartement à Montréal. 

Si cette étudiante décide de vivre seule, le prix moyen qu’elle verra affiché pour un 4 ½ sera de 1958 $, d’après un article du Journal de Montréal publié en août dernier. Si cette étudiante décide de vivre en colocation à deux, ce sont les trois quarts de son revenu qui devront aller à son loyer. Cela est sans compter les frais d’électricité, la facture d’épicerie qui explose avec l’inflation et les frais de scolarité qui augmentent allègrement. Avec un budget aussi serré, la Liberté 45 de McSween semble bien loin. 

Il s’agit peut-être d’un cas de figure extrême : le loyer moyen que je cite plus haut ne compile que les annonces affichées sur la plateforme Rentals.ca. Il ne tient pas en compte tous les logements de l’île. 

Le plus récent rapport de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) à ce sujet fait écho à ces chiffres inquiétants : entre 2020 et 2021, les loyers ont augmenté de 3,7 % dans la grande région de Montréal. Cette hausse est remarquable par rapport à la moyenne de 2,8 % des 20 dernières années. 

On sait que les plus démuni(e)s sont les premières victimes d’un marché aussi inabordable. D’après le même rapport de la CMM, près de 200 000 locataires à faible revenu éprouvent déjà des problèmes d’abordabilité de logement. Si cette crise continue, combien d’étudiants et d’étudiantes au portefeuille serré se joindront au rang de ces locataires ?

Le spectre de l’itinérance ne guette peut-être pas les étudiants et les étudiantes de l’UQAM au même degré qu’il hante ceux et celles de l’Université de Washington. Devant un marché locatif qui emporte une bonne partie de nos salaires dans sa course, on peut dire que le mirage d’un toit abordable s’éloigne lentement.  

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