Ce texte est paru dans l’édition papier du 30 novembre 2022
Du plateau de tournage jusqu’à l’écran, la normalisation de l’écoresponsabilité nécessite non seulement des écogestes, mais aussi des messages télévisuels qui n’encouragent pas la surconsommation.
La représentation des écogestes dans la télévision québécoise progresse, selon une première étude réalisée par le Conseil québécois des événements écoresponsables (CQEER) à ce sujet.
L’idée derrière cette analyse « était que, de manière consciente ou pas, beaucoup de gestes portés à nos écrans vont venir perpétuer des comportements qui peuvent marginaliser l’action environnementale », souligne Amandine Gournay, conseillère en développement durable au CQEER.
De Pierre en fille, District 31 et L’Échappée font partie des dix séries québécoises sélectionnées dans le cadre de l’étude du CQEER publiée à la mi-octobre qui quantifiait l’impact environnemental de certains gestes montrés à l’écran.
Le CQEER a entre autres conclu que les objets réutilisables, comme des tasses, sont de plus en plus intégrés aux scènes télévisuelles, même si des alternatives jetables y apparaissent encore.
Considérant que l’action de sortir les poubelles est observée à l’écran, le CQEER a aussi constaté que le tri de matières résiduelles, qui demeure rare à l’écran, se fait généralement de manière inadéquate.
Un réflexe à développer
« [Les écogestes], je pense juste qu’on n’y pense pas suffisamment. Sur les plateaux de tournage, les choses vont vite », admet Geneviève Perron, professeure à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). « Ce sont des habitudes qu’il faut mettre de l’avant », estime celle qui est aussi directrice de la photographie en fiction et en documentaire.
Stéfany Boisvert, aussi professeure à l’École des médias de l’UQAM, remarque que le réflexe de penser à écrire un personnage prenant le transport en commun, par exemple, n’est pas encore assez présent.
Les deux expertes admettent tout de même que l’effort environnemental actuel se concentre surtout derrière la caméra. La scénariste et productrice chez MéMO FILMS Mélanie S. Dubois le reconnaît aussi.
Ses longues journées de tournage, regroupant souvent une centaine de personnes, ont pour effet d’augmenter les défis associés à l’empreinte écologique. « Les deux gros fléaux sur les plateaux [de tournage] sont le transport et l’alimentation », souligne-t-elle.
Contrer la surconsommation
Julien Pedneault, analyste au Centre international de référence sur l’analyse du cycle de vie et la transition durable, estime que la représentation à l’écran de modes de vie de personnes plus riches influence davantage le cadre de vie de la population québécoise et a, par conséquent, un effet néfaste sur l’environnement.
« Il y a une grande corrélation entre ton mode de vie et ton empreinte environnementale. Si ta maison est grosse, tu vas posséder plus de meubles », fait-il remarquer.
Pour sa part, René Audet, professeur au Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale de l’UQAM, perçoit aussi un message environnemental contradictoire à la télévision.
« Je doute que de montrer des écogestes dans des émissions fasse réellement changer des comportements individuels puisque rendu à la publicité, on vous montre un beau pick-up qui traverse le désert », relève-t-il.
La professeure Stéfany Boisvert est d’avis qu’il ne faut pas baisser les bras devant la précarité financière des diffuseurs traditionnels qui se financent grâce à ce genre de publicités.
« S’il y a un changement plus grand des mentalités et que les diffuseurs se rendent compte que les téléspectateurs et les téléspectatrices veulent d’autres types de publicité […], peut-être qu’il va y en avoir moins », avance-t-elle.
« À force de voir [des écogestes], cela fait juste normaliser ces habitudes de vie », soutient la professeure Geneviève Perron.
Celle-ci estime que la télévision est un moyen pertinent pour y parvenir puisque les téléspectateurs et les téléspectatrices peuvent s’identifier à leurs personnages préférés.
Mélanie S. Dubois rappelle l’importance de la correspondance des images télévisuelles avec la réalité du public.
« Tu ne peux pas commencer à placarder du vert partout. Les gens n’y croiront pas et n’y adhéreront pas. Tu veux quand même que tes personnages soient vrais. Les [récalcitrants et les récalcitrantes] existent, tu ne peux pas les enlever de l’écran », explique-t-elle.
« L’idée est donc de trouver une manière non polluante de filmer [les récalcitrants et les récalcitrantes] et que ce ne soit pas eux qui gagnent à la fin. C’est la morale de l’histoire qui est importante », soutient la scénariste et productrice.
Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus
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