Dans un monde où le contact physique est tenu pour acquis, la question du consentement est un enjeu de plus en plus important dans le programme de danse de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
Selon Rozenn Lecomte, diplômée du programme de danse de l’UQAM en avril 2022, « la danse reflète ce que la société vit ». La question du consentement en danse gagne en pertinence en raison des différentes vagues de dénonciations de violences à caractère sexuel qui ont submergé le Québec au cours des dernières années.
Se faire déplacer, être soulevé(e) ou voir ses mouvements corrigés par le toucher est monnaie courante pour les interprètes en danse. Ces contacts physiques ne sont pas perçus de la même façon par toutes les personnes du programme de l’UQAM.
Comme le mentionne Rozenn, « certaines personnes sont plus sensibles à certains touchers ». « On ne connaît pas les limites des autres », poursuit-elle. Selon son expérience, valider le confort des autres par de simples demandes ou avertissements est de plus en plus commun.
Du progrès à l’UQAM
La directrice des programmes de premier cycle en danse à l’UQAM, Johanna Bienaise, explique que la communauté étudiante en danse est écoutée. Les personnes du premier cycle ont depuis le début du programme en 1996 un suivi personnalisé avec un ou une membre du personnel enseignant. Depuis cette année, ce suivi concerne aussi les gens du deuxième cycle.
Elle mentionne que les « enseignants et enseignantes en classes techniques ne touchent pas les étudiants avant d’avoir leur consentement ». Le fait que la population étudiante du département de danse ait un « espace sécuritaire » où elle peut exprimer ses besoins lui tient à cœur.
Selon la directrice du Département de danse de l’UQAM, Caroline Raymond, « apprendre à parler [du consentement] » est essentiel. D’une certaine façon, « les étudiants et les étudiantes sont nos partenaires pédagogiques », renchérit-elle. Dans cette optique, les futur(e)s interprètes sensibilisent les professeur(e)s à leur réalité, ce qui permet, selon Mme Raymond, de « modifier des pratiques qui n’avaient jamais été questionnées ».
L’éducation somatique dans certains cours de danse à l’UQAM montre un ensemble de techniques qui donnent « conscience du corps en mouvement [et] en relation avec son environnement », indique Mme Bienaise. Ces apprentissages permettent aux interprètes de mieux connaître leurs limites et de savoir quand il leur est possible de dire non. La communauté étudiante est ainsi mieux outillée pour leur parcours en danse, pensent les directrices.
La précarité en danse
L’ancienne directrice du Regroupement québécois de la danse (RQD) Fabienne Cabado a travaillé durant plusieurs années pour l’intérêt des professionnels et professionnelles de la danse. Elle laisse entendre que bien souvent, « si on veut travailler, on se tait, on supporte et on subit ». C’est ce silence qui laisse place aux abus et leur permet de se perpétuer, insiste-t-elle.
Rozenn Lecomte mentionne que malgré l’aide du personnel enseignant, l’UQAM n’offre pas de soutien spécifique aux étudiants inscrits et aux étudiantes inscrites dans les programmes de danse, pourtant très exigeants. Elle déplore le peu d’aide financière et l’absence de physiothérapie, d’ostéopathie et d’aide en matière de nutrition.
Le dépassement de soi
De hauts standards de performances continuent d’affecter les artistes. Le livre Danse et Santé regroupe plusieurs auteurs et autrices qui présentent divers points de vue sur le rapport au corps et à la santé. Dans cet ouvrage, « des interprètes [témoignent] de l’investissement corps et âme nécessaire à l’exercice du métier », et cela parfois au détriment de leurs besoins personnels.
En 2018, un atelier sur le harcèlement physique et psychologique en danse a été mis en place par le RQD, où une cinquantaine de personnes du milieu ont abordé le sujet. « Les commentaires dénigrants adressés aux étudiants ou aux interprètes, les touchers inappropriés, les dynamiques de pouvoir […] sont des exemples de situations nommées à maintes reprises », relate le bilan de l’atelier.
Une transformation lente
« Les étudiants et étudiantes qui sortent de l’UQAM, ce sont eux, [le futur du] milieu professionnel », rappelle Johanna Bienaise. C’est avec optimisme que les deux directrices espèrent qu’une sensibilisation au consentement changera progressivement le milieu de la danse. Le corps des interprètes ne doit plus être vu comme un objet ou un outil : « remettre en question la notion de docilité associée aux interprètes » est une priorité, affirment-elles.
« Je pense que l’on peut tous nommer quelqu’un [qui a vécu des situations problématiques durant son parcours] », exprime Lory Saint-Laurent. Cette finissante de l’École de danse de Québec, aujourd’hui interprète autonome, affirme que face à une situation d’abus, c’est « un combat intérieur de vouloir dénoncer ou non ». Le monde de la danse est petit, et parler ouvertement peut être une idée risquée, juge-t-elle.
Diverses ressources peuvent épauler les victimes dans leur processus de dénonciation, notamment l’organisme L’Aparté, qui vient en aide à des personnes du milieu culturel qui ont subi du harcèlement ou des agressions. « Il faut continuer de parler [d’abus en danse] et empêcher que le silence ne s’installe », conclut Fabienne Cabado.
Mention illustration : Camille Dehaene | Montréal Campus
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