Mots de révolte, insultes haineuses, signatures codées : les inscriptions gravées sur les murs font partie intégrante du paysage visuel de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Entre le manque de main-d’œuvre, les actes de vandalisme et les murs libres d’expression, la gestion des graffitis représente une opération de taille pour l’administration.
« On n’a qu’un seul peintre et il est en arrêt de travail », explique le technicien en aménagement du Service des immeubles de l’UQAM, Claude Roussy, qui s’occupe de la coordination des travaux de peintures sur le campus. D’après lui, il est difficile pour l’Université d’embaucher d’autres peintres.
La directrice des relations de presse de l’UQAM, Jenny Desrochers, rapporte « une pénurie de main-d’œuvre importante dans ce domaine ». Elle indique toutefois que l’Université a deux peintres à son emploi, « en plus du renfort ponctuel d’équipes externes à raison de deux à trois peintres par projet », contrairement aux propos rapportés par M. Roussy.
L’UQAM ne tient pas de registre des travaux d’entretien qui concernent spécifiquement les graffitis, selon Mme Desrochers. Elle précise cependant que « la réalisation des travaux de peinture des graffitis influe sur la réalisation des autres travaux de peinture ».
Claude Roussy estime que la quantité de gallons de peintures destinés au recouvrement des graffitis est élevée. « On a des graffitis à la grandeur de l’université, indique Claude Roussy. Il y en a dans l’école, mais aussi à l’extérieur, qui sont faits par un peu n’importe qui. »
La direction du Service des immeubles de l’UQAM, qui est responsable des activités d’entretien, n’a pas répondu à la demande d’entrevue du Montréal Campus.
Des inscriptions haineuses qui laissent leurs traces
En raison du manque de peintres, des commentaires hostiles envers la communauté LGBTQ+ sont en ce moment perceptibles sur les murs de six salles de cours dans le pavillon Hubert-Aquin. Les insultes sont recouvertes d’une fine couche de peinture blanche sous laquelle les mots demeurent lisibles.
« Le Service des immeubles est censé repeindre, mais ce n’est toujours pas fait », rapporte Judith Vachon, secrétaire aux affaires féministes de l’Association facultaire étudiante des sciences humaines (AFESH).
L’AFESH s’est plainte de ces inscriptions auprès du Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l’UQAM à la fin du mois de septembre. « Le Service de prévention et de la sécurité a été en mesure d’identifier la personne responsable de la production des graffitis », a indiqué le directeur du Bureau du Vice-rectorat à la vie académique, Nicolas Marchand, dans un courriel envoyé à l’AFESH le 24 octobre dernier.
« Lorsqu’il y a des actes de vandalisme, l’UQAM investigue pour identifier les personnes impliquées et prend les mesures qui s’imposent en vertu de ses règlements pour intervenir auprès de ces dernières », rappelle Jenny Desrochers.
L’article 4 du règlement 10 de l’UQAM sur la protection des personnes et des biens indique qu’un membre de la communauté étudiante qui endommage la propriété de l’Université est soit rencontré par le Comité de discipline ou par le Comité d’intervention. Dans le cas d’un ou d’une employé(e), le paiement des dommages causés est exigé. Si les méfaits sont commis par une personne qui ne fait pas partie de l’Université, celle-ci est expulsée et doit dédommager les biens vandalisés.
Des murs libres d’expression
Même si la plupart des graffitis sont recouverts par les employé(e)s du Service des immeubles, certains corridors de l’Université font partie d’une entente avec l’administration permettant aux étudiants et aux étudiantes de les recouvrir comme bon leur semble.
Signée en 2010, l’entente précise que « les murs de libre expression » près du Café Aquin « sont accessibles à toute la communauté universitaire sans discrimination ».
« Tolérer des graffitis, ça donne un côté contre-culture à l’endroit, même si on est dans une institution », estime la professeure de design à l’UQAM Amandine Alessandra. D’après elle, « ça démontre que les gens ont une liberté d’expression. »
Des négociations pour réduire les méfaits
En septembre dernier, des travaux de peinture ont été effectués dans les couloirs menant vers les locaux des associations étudiantes adjacents au Café Aquin. En l’instant d’une soirée, ceux-ci avaient été tapissés de plusieurs nouveaux graffitis. La Presse, qui a couvert l’événement, a indiqué dans un article que la direction de l’Université avait déposé une plainte à la police.
Lors de l’opération pour masquer les graffitis, des murs qui avaient depuis longtemps été couverts d’inscriptions par la communauté étudiante ont été peints en blanc. Judith Vachon, de l’AFESH, indique que les graffitis y étaient traditionnellement tolérés même si cette portion ne faisait pas partie de l’entente.
« Ça a été assez soudain, dit-elle. Ça a créé beaucoup de colère. » Aux yeux de l’AFESH, ces travaux semblent avoir été effectués dans une perspective de punition.
Afin de redonner la parole aux étudiants et aux étudiantes, l’AFESH prépare un projet de murales qui concerne entre autres les murs litigieux. L’association souhaite lancer un appel d’offres pour trouver un ou une artiste. Dans la continuité de ce qui couvrait auparavant ces murs, l’œuvre serait à saveur politique.
En se fiant aux dessins sur les murs de libres expressions compris dans l’entente, l’AFESH a constaté que les parties plus artistiques n’ont pas été touchées. « Le but du projet, c’est de faire de la réduction des méfaits, précise Judith. On veut que les murs soient beaux, que ça ne soit pas juste des murs blancs. »
Selon Judith, les Services à la vie étudiante (SVE) semblaient enthousiastes lorsque l’AFESH leur a fait part de son idée. Les SVE ne possèdent toutefois pas de leviers dans ce projet. L’association espère donc que sa proposition soit considérée par l’administration, même si celle-ci « est partie dans une direction de répression », d’après Judith.
Mention photo : Camille Dehaene
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