Évaluer l’art, une tâche délicate

Le système de notation classique, bien que remis en question par certains et certaines pédagogues, tombe sous le sens. Il se brouille cependant lors de l’évaluation d’un objet artistique, avec laquelle doit composer la communauté enseignante de la Faculté des arts de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Il y a une part de subjectivité en arts visuels. On n’est pas dans une pratique qui n’est que technique », lance d’entrée de jeu la professeure à l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM Véronique Chagnon Côté.

Danse, théâtre, musique, études littéraires : l’affirmation de la professeure transcende tous les domaines de la faculté. « Si je demandais [à mes étudiants et étudiantes] de faire des palettes de couleur, je n’aurais que des cases à cocher », illustre-t-elle. La réalité de son cours, Plasticité et fonction symbolique de l’image, se situe à des années-lumière de cet exemple.

Bien consciente que les travaux qu’elle demande à ses étudiants et à ses étudiantes les obligent à puiser dans leur créativité 一 et donc à remettre un produit personnel 一 Mme Chagnon Côté construit ses critères d’évaluation en conséquence. La démarche, le niveau d’implication et la cohérence occupent, entre autres, une place prépondérante. « C’est le lien entre les notions que j’enseigne et le propos que l’élève transmet qui m’intéresse », explicite la professeure. Autrement dit, si un étudiant ou une étudiante propose un travail dont les procédés techniques s’alignent avec le sens, ses chances d’obtenir une note élevée se multiplient.

En dehors des frontières des arts visuels, ce souci d’évaluer ce qui mène au produit final plutôt que le produit en tant que tel est aussi présent. Pour la professeure au département de musique de l’UQAM Isabelle Héroux, la cohérence d’un travail est cruciale. La guitariste va même jusqu’à prendre en compte l’autonomie de l’élève dans son processus créatif, sa capacité d’autoévaluation et sa maîtrise du stress. Des critères quantifiables qui ont le pouvoir de niveler une note vers le haut ou vers le bas sans pour autant statuer sur une identité artistique quelconque.

Des réflexions continues

Avec le temps, Véronique Chagnon-Côté et Isabelle Héroux ont développé des moyens de s’attarder davantage à la chair autour de l’objet artistique, dans le but d’être plus justes en notant. Elles ne sont cependant pas dupes. « Est-ce que la neutralité totale existe? », se questionne Mme Chagnon Côté.

Pour tracer une ligne des plus opaques entre les intérêts de ses étudiants et de ses étudiantes et les siens, la professeure en arts visuels garde ses réalisations personnelles pour elle. « Je ne veux pas donner l’impression que ce qui colle à ce que je fais comme artiste m’intéressera plus », explique celle qui est aussi peintre.

Isabelle Héroux jongle aussi avec ce type de réflexion. « Comment m’assurer que je ne castre pas mes étudiants plus flyés», s’interroge-t-elle. Pour ce faire, la professeure agit un peu comme une guide. Certains milieux sont plus à la recherche d’artistes qui dérogent à la norme ; d’autres non. Isabelle l’indique en toute transparence à ses étudiants et étudiantes.

Dans le doute, s’abstenir

Au sommet de la pyramide des moyens alternatifs de noter un travail trône le ungrading. L’anthropologue et autrice Susan D. Blum, à l’origine du concept, ne ciblait pas uniquement les disciplines artistiques en imaginant cette façon radicale d’envisager la notation.

« Le ungrading est le refus de la notation quantitative », exprime la professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM Dinaïg Stall. Les chiffres et les lettres y sont remplacés par des rétroactions qualitatives.

Mme Stall s’intéresse à cette approche sans nécessairement pouvoir la mettre en application entre les murs de l’UQAM. « Les universités sont des milieux compétitifs, centrés sur la performance. Le contexte ne permet pas l’abolition des notes », détaille-t-elle. Documentés notamment aux États-Unis, les résultats du ungrading sont encourageants et sans équivoque : la notation telle qu’on la connaît a plusieurs effets délétères.

Dans plusieurs départements de la Faculté des arts, comme celui d’études littéraires, les notes représentent plus qu’un amas de lettres sur papier. Elles ont une portée non négligeable. L’obtention de bourses tout comme le passage au cycle supérieur, par exemple, en dépendent. L’étudiante de troisième année au baccalauréat en études littéraires Jeanne Goudreault-Marcoux en témoigne : « La maîtrise est très contingentée ».

Dans ses cours où elle doit créer des textes de toutes pièces, plus de la moitié des points est accordée au style et à la qualité artistique du texte 一 des notions souvent subjectives. Parfois, « c’est une question de complicité artistique » qui influence la note attribuée, selon Jeanne. Une complicité qui, en arts tout particulièrement, est plus complexe que la simple atteinte d’un critère.

Mention photo Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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