Une radio québécoise trop peu inclusive

Alors que le Mois de l’histoire des Noirs s’achève, une réflexion sur la place des personnes afrodescendantes dans l’univers de la radio québécoise s’impose. Malgré une volonté d’inclusivité, une sous-représentation persiste.

L’animateur chevronné Philippe Fehmiu admet voir une différence depuis le début de sa carrière en ce qui a trait à la place accordée aux personnes de la communauté noire dans la radio québécoise. « Il y a une grande curiosité aux sujets humains aujourd’hui, ce qui favorise le partage entre les différentes cultures », explique-t-il.

L’animateur de descendance africaine affirme qu’avant, de telles discussions n’étaient pas aussi bien accueillies par les dirigeants et les dirigeantes de certains diffuseurs de radio. « Je parle des mêmes choses depuis 25 ans. […] Il y a 25 ans, les gens trouvaient ça lourd. Aujourd’hui, je parle d’exil, et les gens se sentent interpellés », se souvient-il.

Or, la bataille est loin d’être gagnée. « Il reste beaucoup de travail à faire. Le jour où [l’inclusion] va se faire organiquement, qu’on ne posera plus la question, qu’on aura plus besoin d’un plan stratégique, ce sera le jour où on aura réellement avancé », affirme l’animateur de radio et de télévision Pierre Yves Lord.

« On a le vent dans le dos »

Le professeur à l’École des médias de l’UQAM, Didier Oti, est d’avis que les mouvements sociaux ont grandement contribué à l’inclusion des personnes noires. « Au cours des vingt dernières années, il y a eu des évolutions. Surtout dans le service public, notamment à Radio-Canada qui, selon son mandat, doit notamment refléter la diversité régionale et culturelle du pays », illustre-t-il.

Il est unanime pour les trois hommes que les mouvements sociaux des dernières années, notamment #BlackLivesMatter, aident la réflexion quant à l’inclusion dans le monde de la radio. « On a maintenant le vent dans le dos, au lieu de l’avoir dans le visage », affirme M. Fehmiu au sujet de l’attention accordée aux inégalités dans les médias québécois.

« La force des mouvements sociaux est qu’ils focalisent l’attention sur des situations particulières, touchant des groupes précis. Situations qui seraient restées inchangées, pas parce que la majorité les méprise, mais simplement parce qu’elles sont hors de son champ de vision », constate M. Oti.

Métissage de cultures

Philippe Fehmiu explique qu’il est bénéfique pour un diffuseur public de prioriser l’inclusion, car ce métissage de culture ouvre des portes à certains marchés, ce qui peut s’avérer intéressant pour des dirigeants et des dirigeantes. « Le fait qu’on ait des bagages différents, ç’a une valeur […] il faut se demander ; qu’est-ce que j’ai à offrir que les autres n’ont pas? », explique l’animateur. Il ajoute qu’en incluant des cultures différentes, les diffuseurs arriveraient à aller chercher une clientèle qui ne se reconnaît pas dans la radio actuelle, du au manque de représentation de leur communauté.

M. Oti, quant à lui, répond qu’il ne faut pas sous-estimer l’intérêt et l’ouverture des auditeurs québécois et des auditrices québécoises aux personnes issues de la communauté noire. « Les auditeurs québécois qu’on présume — abusivement et à tort selon moi — hostiles aux accents d’ailleurs pourraient bien apprécier la différence incarnée par ces journalistes et animateurs aux noms et aux accents différents », tempère-t-il.

Pierre Yves Lord, qui est né à Port-au-Prince, en Haïti, considère que son accent québécois l’a avantagé quand est venu le temps de se tailler une place dans le monde radiophonique. « C’est certain que si j’avais eu un fort accent haïtien je n’aurais pas eu le même parcours au Québec », croit-il.

Par contre, l’animateur populaire est d’avis que le fait d’avoir des accents, des histoires et du contenu différent serait bénéfique pour la culture québécoise : « Je veux sentir les odeurs d’ailleurs quand j’écoute la radio au Québec, et ça, j’en sens peu en ce moment », ajoute-t-il.

Un quota toxique

Les trois hommes s’entendent pour dire que l’exercice d’imposer des quotas au sujet de la diversité peut devenir néfaste et contre-productif si la motivation première des dirigeants et des dirigeantes est de l’ordre de l’acceptation sociétale.

À ce sujet, Pierre-Yves Lord souligne qu’il est important de ne pas tomber dans une culture de « course à la diversité ». « Je souligne l’engouement afin de créer une représentation plus inclusive de la société chez certains médias québécois. Or, je veux être engagé parce que je suis bon, pas parce que je suis noir et que ça parait bien d’avoir de la diversité sur des affiches », indique-t-il.

Une illustration de Magali Brosseau | Montréal Campus

 

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