L’exode de Spotify

Depuis la fin du mois de janvier, plusieurs artistes, dont Neil Young, Joni Mitchell et Gilles Vigneault, ont pris la décision de retirer leur contenu de Spotify, à la suite des propos controversés tenus dans le podcast The Joe Rogan Experience sur la plateforme de diffusion.

À une époque où la désinformation et les fausses nouvelles circulent abondamment sur le Web, Spotify héberge le balado de Joe Rogan, qui compte près de 11 millions d’abonné(e)s.

Le président de la plateforme, Daniel Ek, a déclaré ne pas appuyer les propos de l’artiste. Rappelons toutefois que Spotify a octroyé un montant de 100 millions de dollars à l’animateur controversé pour qu’il diffuse son podcast sur l’application.

Joe Rogan est entre autres accusé d’avoir tenu des propos racistes à maintes reprises dans son émission et d’avoir découragé les auditeurs et les auditrices à se faire vacciner contre la COVID-19.

Spotify se « dédouane »

Éric Létourneau, professeur à l’École des médias à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), précise que le podcast de Joe Rogan n’est pas la seule émission sur Spotify qui tient des propos controversés, voire déplacés. « Si c’est vrai que c’est essentiellement à cause de ce podcast de Joe Rogan [que les artistes ont quitté la plateforme], on pourrait se demander pourquoi ils n’ont pas quitté la plateforme avant », s’interroge-t-il.

« Les plateformes se dédouanent vraiment au niveau du contenu qu’elles hébergent », se désole pour sa part Karolanne Perreault, l’auteure du mémoire Plateformes d’écoute en continu et consommation musicale : négociation de l’espace entre Spotify et ses abonnés.

Des départs aux impacts minimes

Karolanne Perreault le dit d’entrée de jeu : pour que le mouvement de désabonnement sur Spotify ait un réel impact pour l’entreprise, il faudrait qu’il y ait un mouvement de masse et que plusieurs artistes de renommée mondiale quittent la plateforme.

Elle explique que le modèle d’affaires de Spotify est basé sur les abonné(e)s. En effet, la source de revenus la plus importante pour Spotify demeure les utilisateurs et les utilisatrices qui paient un abonnement mensuel à la plateforme de diffusion. « Les artistes, c’est la partie prenante qui a le moins de pouvoir dans le modèle d’affaires de Spotify », soutient-elle.

Si plusieurs artistes quittent Spotify, les abonné(e)s n’auront plus accès à une grande offre de contenu et les utilisateurs et les utilisatrices pourraient envisager de se rediriger vers d’autres plateformes de diffusion, comme Apple Music ou Amazon Prime.

« Au final, les plateformes de musique en continu se battent pour l’attention des abonné(e)s », rappelle Mme Perreault. En effet, elle mentionne que dès que Neil Young a quitté Spotify, Apple Music a affiché en avant-plan sur l’interface de l’application des listes de lecture du chanteur rock.

« Je me tirerais dans le pied en quittant »

Si de grands artistes tels que Neil Young et Joni Mitchell ont quitté Spotify, ce ne sont pas tous les artistes qui peuvent se permettre de ne plus mettre leur contenu sur la plateforme de diffusion, qui compte près de 365 millions d’abonné(e)s dans 178 nations.

C’est le cas de l’auteure-compositrice-interprète Catherine van Doesburg. Elle explique qu’elle a pu gagner en popularité entre autres grâce aux listes de lecture de découvertes musicales sur la plateforme de diffusion. « C’est sûr qu’en commençant, je me tirerais dans le pied en quittant Spotify », explique l’étudiante en sexologie à l’UQAM, qui précise toutefois soutenir le mouvement de désabonnement.

Les trois personnes rencontrées par le Montréal Campus s’entendent pour dire que diffuser son contenu sur Spotify n’est pas payant pour ceux et celles qui le font, même si la plateforme de diffusion est un tremplin pour plusieurs artistes émergents afin d’accroître leur notoriété. Catherine van Doesburg confie qu’elle ne gagne « même pas une cenne par écoute ». Sa source de revenus provient plutôt de ses spectacles, explique la chanteuse-compositrice-interprète.

Un combat loin d’être gagné

Karolanne Perreault prédit que ce mouvement de désabonnement n’est qu’une « vague à passer ». Elle précise que les consommateurs et les consommatrices ont des habitudes déjà bien ancrées sur Spotify : ils et elles ne seront pas prêts et prêtes à abandonner si facilement, à moins que l’offre de contenu sur la plateforme diminue drastiquement.

Pour Mme Perreault, la solution n’est pas évidente. Elle rappelle que Spotify a beaucoup à gagner en hébergeant des podcasts controversés comme celui de Joe Rogan, puisque celui-ci génère beaucoup d’écoutes. Elle se demande si la plateforme de diffusion sera prête à censurer ce genre de contenus malgré les retombées économiques non négligeables.

Selon Éric Létourneau, les artistes pourraient dénoncer les propos de Joe Rogan par la « contre-information » en créant des podcasts en réponse au balado de l’animateur, plutôt que de simplement retirer leur contenu de la plateforme de diffusion. « Je pense que c’est beaucoup plus efficace que la censure », affirme M. Létourneau.

Pour l’enseignant, il sera intéressant de voir ce que les artistes comme Neil Young et Gilles Vigneault vont poser comme actions concrètes dans les prochaines semaines. « Est-ce que [les artistes] vont utiliser cette nouvelle visibilité qu’ils ont pour continuer le combat? », se questionne M. Létourneau.

Mention photo Augustin de Baudinière | Montréal Campus

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