Donnons la parole au désir

« Sans oui, c’est non! », a-t-on martelé – avec raison – lors du mouvement #MoiAussi, et d’autres vagues de dénonciations. Sur papier, le consentement sexuel ne devrait pas être plus compliqué. Pourtant, la réalité s’avère plus nuancée.

« Je n’en avais pas vraiment envie, mais… », « je voulais lui faire plaisir », « ça faisait déjà X fois que je refusais », « j’avais peur qu’il ou elle aille voir ailleurs », « on est en couple, il faut entretenir la flamme », « je ne voulais pas lui déplaire » : combien de femmes ai-je entendu ponctuer leurs récits sexuels de telles remarques?

Nous sommes nombreux et nombreuses à avoir navigué dans cette zone grise où une relation sexuelle est reconnue comme consentie, sans pour autant être guidée par un véritable désir. Si elle n’est pas vécue comme une agression sexuelle, une telle expérience laisse tout de même un malaise palpable.

Cette zone grise de la sexualité défie cette idée reçue selon laquelle le consentement serait la traduction directe d’une envie sexuelle. Pourtant, désir et consentement ne sont pas équivalents. « Plusieurs études [sociologiques] montrent que, dans la pratique, ce n’est pas parce qu’on a une compréhension de ce qu’est le consentement qu’on ne va pas consentir à des choses qui ne nous plaisent pas », fait remarquer Stéphanie Pache, professeure en sociologie du genre et de la sexualité à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Consentir à des relations sexuelles qui n’étaient pas a priori désirées n’est pas anecdotique. Ce phénomène bien documenté révèle que la sexualité des femmes est toujours sous l’emprise de normes de genre entretenues par le patriarcat qui peuvent empêcher un consentement libre et éclairé.

La sociologue Alexia Boucherie, autrice de l’ouvrage Troubles dans le consentement, a d’ailleurs mené une enquête empirique sur le sujet. Sur les 22 entretiens menés pour sa thèse, toutes les femmes interrogées avaient vécu au moins une relation sexuelle consentie, mais non désirée.

Le fait que ces zones grises du consentement « se situent dans une sexualité dite routinisée, c’est-à-dire banalisée dans le quotidien des conjugalités, questionne la vision égalitaire qui, théoriquement, régit désormais les relations », avance-t-elle.

Si les hommes hétérosexuels estiment généralement que leurs pratiques sexuelles sont quasi exclusivement guidées par leurs désirs, les femmes, au contraire, sont beaucoup plus conscientes de l’obligation de la relation sexuelle qui peut se présenter dans leurs relations affectives, précise Stéphanie Pache. « La division genrée du travail relationnel fait qu’il y a souvent une demande active de sexualité des hommes et une réponse passive des femmes. Ça fait partie de cette ancienne idée du devoir conjugal, qui existait auparavant dans la loi, [et] qui reste quand même dans les esprits », expose-t-elle.

Le consentement, aux contours floués par une relation inégalitaire entre les genres, ne peut plus être le seul élément d’arbitrage pour déterminer si des rapports sexuels sont bons ou mauvais, croit Stéphanie Pache. « C’est intéressant d’introduire la notion du désir [dans la discussion entourant le consentement], car elle pose la question plus largement du plaisir sexuel », souligne-t-elle.

Miser sur une éducation sexuelle outillant les femmes à mieux comprendre leurs besoins est essentiel. « Il y a une tendance plus développée à vouloir rendre service et à prendre soin de son partenaire du côté des femmes. Elles ont donc souvent peine à revendiquer [leur plaisir]. C’est vécu comme quelque chose d’égoïste. Alors que oui, le plaisir sexuel, c’est un peu égoïste! », lance la sociologue en riant.

L’heure est venue de pousser notre réflexion collective sur le consentement : s’il est indispensable à toute relation sexuelle saine, le désir mérite aussi de faire invariablement partie de l’équation. Pour éviter de se replonger dans des zones grises, passons d’abord en revue nos biographies sexuelles pour déconstruire les raisons pour lesquelles nous aurions consenti, par le passé, à des expériences qui n’étaient pas guidées par un désir incarné. Si l’intime est politique, revendiquer son plaisir sexuel est une petite révolution.

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