Un étudiant dénoncé finit isolé

Dans un groupe de première année à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la présence d’un étudiant dénoncé pour inconduite sexuelle engendre un mouvement de contestation que l’Université peine à contenir.

En faisant défiler les noms de ses futur(e)s collègues du baccalauréat sur Facebook, les yeux de Léa* s’arrêtent sur le nom de Mathias*, qui a fréquenté le même programme qu’elle au Cégep. Léa se rappelle de rumeurs à son sujet : Mathias a été dénoncé lors de la deuxième vague du mouvement #MoiAussi. Elle ignore toutefois le motif des dénonciations.

Les étudiantes du programme se rencontrent avant le début des cours. L’une d’elles envoie un message à tous les membres de la cohorte pour les aviser du malaise qu’elle et certaines de ses collègues ressentent à l’idée de travailler avec Mathias.

Ce dernier est mis au courant de leur message. « Je comprends le malaise qu’ils peuvent avoir », exprime Mathias.

Le programme dont il est question est axé sur la performance artistique. « Notre formation, essentiellement, doit se passer dans l’écoute, la proximité et le respect […] on n’est pas assis chacun de notre bord comme dans un cours de biologie », explique Marie*, une étudiante du programme.

Se débarrasser du problème

Dès le début des cours, des étudiant(e)s rejoignent des intervenantes du Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l’UQAM, qui contactent Mathias. « On était en mode solution », soutient-il.

D’autres étudiant(e)s rencontrent également la directrice de leur programme. Cependant, ils et elles sont déçu(e)s de constater que ni le BIPH ni la direction ne peuvent légalement retirer Mathias du programme. « On s’est sentis trahis », témoigne Marie.

« L’Université ne peut pas suspendre ou exclure quelqu’un sans motifs, sans enquête, sans faits qui se sont produits chez nous », explique Maude Rousseau, directrice du BIPH. Le bureau peut seulement intervenir dans les cas où les personnes impliquées dans une plainte sont membres de la communauté universitaire et que les événements se sont produits pendant qu’elles fréquentaient l’Université.

Sans ces deux critères, le champ d’intervention du BIPH et de la direction est restreint. « On n’intervient pas juste [à partir]d’un sentiment d’insécurité », spécifie Maude Rousseau.

Quand la situation dégénère

Même si une part de la cohorte tente de composer avec la situation, l’autre ignore déjà Mathias et refuse de travailler avec lui. Lors des présentations en classe, certain(e)s baissent les yeux et refusent de l’applaudir. « Il y a des gens qui ont pensé se retirer de la cohorte […] des gens que ça empêche de travailler, qui font des crises de panique », confie Marie.

Le mardi 19 septembre, trois étudiant(e)s font part à Mathias de leur malaise quant à sa présence. « Il a dit qu’il était là pour faire partie de la solution […] qu’on pouvait faire nos fêtes et qu’il allait juste être là pour les cours », raconte David*, l’un des trois étudiant(e)s.

Toutefois, cette réponse est insuffisante pour le trio. Mathias leur explique qu’il travaille sur lui-même. « Ça fait […] presque 2 ans que je consulte un psychologue, que je vais chercher l’aide professionnelle dont j’ai besoin », affirme-t-il.

Les trois étudiant(e)s ne changent pas d’avis. « C’est pas parce-que tu as fait de la thérapie que je dois être prêt à m’ouvrir à toi tout de suite », lance David. Ce dernier avoue qu’il ignore de quoi Mathias est accusé exactement. « Est-ce que j’ai besoin de savoir exactement ce qu’il a fait pour que mon malaise soit justifié? » questionne-t-il.

La semaine suivante, la cohorte se réunit sans Mathias pour rédiger une lettre à l’attention de la direction et du BIPH. Dans celle-ci, ils et elles annoncent le boycottage de leur prochain cours et leur refus de travailler avec Mathias. Quelques étudiant(e)s choisissent de ne pas la signer. 

Le lendemain, seul Mathias se présente au cours. À la suggestion du BIPH, il s’absente pour la semaine qui suit. Dès lors, il travaillera seul dans tous ses cours.

De l’huile sur le feu

Le jeudi 30 septembre, le BIPH organise une rencontre avec la cohorte, à l’exception de Mathias, afin de réduire les tensions. « Ça a rapidement pris la forme d’une thérapie de groupe […] Il y a plusieurs personnes qui ont révélé des agressions sexuelles et des abus quand elles étaient enfants », rapporte Marie.

L’intervenante qui anime la discussion propose de planifier des rencontres individuelles avec les étudiant(e)s. Or, très peu s’y inscrivent.

Au lieu de détendre l’atmosphère, la rencontre les galvanise. « Le groupe s’est resserré […] on s’est demandé quels moyens de pression on pouvait mettre sur [Mathias] pour qu’il décide de quitter [le programme] par lui-même […] C’est là que je trouve que ça a tourné à l’intimidation », avoue Léa.

Deux semaines plus tard, Mathias présente un projet devant le groupe. Le quart de la classe, dont Léa et Marie, se lève et quitte la pièce. À leur retour, le professeur demande à Mathias de recommencer sa présentation. « Je me souviens à peine [d’avoir présenté], j’étais sous le choc », se rappelle-t-il.

Après le cours, deux étudiantes, dont Léa, viennent s’excuser auprès de lui. « Quand j’ai vu son état après que personne n’ait applaudi, j’ai ressenti tellement de culpabilité », raconte-t-elle.

Le jour suivant, la direction rencontre le groupe. « On s’est fait engueuler […] notre directrice de programme a dit qu’on agissait comme des enfants, qu’on faisait du harcèlement », indique Marie.

Le bureau de la doyenne de leur faculté convoque ensuite quatre étudiant(e)s afin de leur remettre une lettre stipulant qu’ils et elles ont agi à l’encontre de la Charte des droits et responsabilités des étudiants et étudiantes de l’UQAM.

La lettre décrète que leurs comportements auraient compromis le maintien d’un climat d’études sain et sécuritaire au sein de la cohorte, alimenté une situation d’exclusion et porté préjudice à un étudiant.

Même si les étudiant(e)s sont passibles d’une suspension de 20 jours, personne n’accepte de signer la lettre. Néanmoins, ils et elles acceptent de respecter la Charte.

Remises en question

« Chaque génération amène une reconsidération de ce qu’est la délinquance sexuelle, [qui elle] amène ses dérives », explique Patrick Lussier, professeur de criminologie à l’Université Laval. Selon lui, ces dérives ne se produisent pas en vase clos. Elles partent plutôt d’une frustration face à la lenteur des réponses de la justice . Il souligne l’importance de ne pas instrumentaliser ces dérives pour discréditer un mouvement entier. « C’est plus complexe que ça », constate-t-il.

D’après Mélanie Lemay, co-fondatrice du mouvement Québec contre les violences sexuelles, l’approche des universités comporte de nombreux angles morts. « Les universités ont les poings liés […]. Il y a une absence incroyable de balises pour intervenir auprès des personnes dénoncées sans avoir été judiciarisées », déclare-t-elle. Elle juge que des situations comme celle de la cohorte risquent de se reproduire si plus de ressources ne sont pas offertes aux étudiant(e)s.

Aujourd’hui, certain(e)s étudiant(e)s prennent du recul. « Peut-être qu’on est allés trop vite », admet David. Des médiations entre Mathias et des étudiant(e)s de la cohorte sont en cours avec le BIPH. « Je sais que ce ne seront pas mes amis. […] Moi, je veux étudier », témoigne Mathias. Pour d’autres, accepter la situation est encore difficile. « S’il restait, ce serait comme faire le deuil d’un environnement d’étude sain », confie Marie.

Quelques étudiant(e)s souhaitent encore trouver une issue, mais cette fois en dehors des instances de l’UQAM. Quelques membres de la cohorte ont contacté des présumées victimes de Mathias pour les inviter à porter plainte au criminel.

« L’UQAM nous a dit que légalement ils ne peuvent rien faire pour nous, mais légalement, nous on peut faire quelque chose en dehors de l’UQAM », conclut Fred.

*Les prénoms sont fictifs pour préserver l’anonymat

 

Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus

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