L’art adapté pour s’approprier l’espace

Mandatée l’an dernier pour évaluer les retombées du Programme d’art adapté de la Place des Arts, la professeure de l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Maud Gendron-Langevin se questionne sur la place des personnes en situation de handicap dans l’industrie culturelle québécoise. Si le projet de recherche a été retardé dû à la pandémie, plusieurs effets du programme sont déjà observables.

Pour définir le concept de l’art adapté, la directrice de la programmation de la Place des arts (PDA), Clothilde Cardinal, explique que le programme « permet à des adultes et à des jeunes vivant avec des besoins particuliers de découvrir et d’explorer de façon dynamique les arts de la scène grâce à des ateliers pratiques et participatifs. »

Les adultes qui vivent avec des limitations fonctionnelles peuvent donc s’initier aux arts de la scène à travers plusieurs projets liés au chant, à la danse, à la musique, au théâtre ou encore à l’écriture. Chaque projet implique une série d’ateliers en compagnie d’artistes-médiateurs.

En février 2021, Maud Gendron-Langevin a obtenu une subvention pour son projet de recherche sur le Programme d’art adapté, fondé en 2018. La question de départ visait uniquement à déterminer et à évaluer les impacts du programme sur les participant(e)s. La chercheuse a toutefois élargi le projet afin d’y inclure les animateurs et animatrices des ateliers ainsi que les employé(e)s de la Place des Arts. « Pour toutes les personnes qui gravitent un peu autour du projet, on veut voir comment ça a une influence sur leur vie ou comment ça change leur regard », explique-t-elle.

Cependant, les nombreuses mesures liées à la pandémie de COVID-19 ont eu un impact sur le commencement de la récolte de données. En effet, si les activités et les ateliers ont habituellement lieu dans l’espace culturel Georges-Emile-Lapalme et au Salon urbain de la Place des Arts, la crise sanitaire a forcé la tenue des événements en mode virtuel.

Compte tenu de la place importante de l’appropriation de l’espace dans le concept, Mme Gendron-Langevin mentionne que l’équipe de recherche a décidé d’attendre un retour en présentiel.

« Un safe space »

Même s’il est trop tôt pour évaluer les retombées du programme de la PDA de façon formelle, l’enseignante de l’UQAM n’a pas de doutes quant aux bienfaits d’un tel projet. « Ça permet aux gens de se retrouver, de se sentir impliqués et de faire partie d’un projet », souligne-t-elle. Elle remarque notamment un apport à trois besoins psychologiques essentiels, soit les besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance.

Selon Marco Pronovost, l’un des artistes-médiateurs impliqués dans les ateliers de danse créative du programme, la participation à un tel projet apporte de nombreux apprentissages qui peuvent s’appliquer à de multiples sphères du quotidien. « [Le programme] nous permet de faire des erreurs, de revenir, de recommencer, d’emprunter des idées à d’autres personnes et de discuter alors que dans la vie, des fois, on se donne moins ces opportunités-là », remarque-t-il.

Pour lui, les ateliers constituent une sorte de safe space où les participants et les participantes peuvent prendre des risques et sortir de leur zone de confort dans un esprit créatif, en plus d’apprendre à communiquer à travers l’art.

« On va essayer de transposer ce qu’on veut dire avec des mots dans des mouvements, explique l’artiste. Dans mon cas, je passe par le mouvement et par la danse, on a donc ces différents modèles de communication-là qu’on va explorer ensemble. »

Revoir les normes

« Dans une institution culturelle [comme] la Place des Arts, le fait d’offrir un programme comme celui-là à des populations qui sont habituellement tenues en marge de la culture, c’est assez novateur », observe Mme Gendron-Langevin.

Elle rappelle que les populations visées par ce programme sont encore largement marginalisées dans le milieu et que la place qui leur est accordée sur la scène culturelle est encore limitée. « Je pense qu’il y a une plus grande place à faire aux artistes atypiques, mentionne-t-elle. [Ils et elles] ont autres choses à apporter, qui peuvent changer un peu notre perception de c’est quoi l’esthétisme au théâtre, par exemple. »

Au-delà du Programme d’art adapté, Mme Gendron-Langevin s’interroge aussi sur la place des publics avec des besoins particuliers dans les institutions culturelles. « On est dans une société qui demande beaucoup aux personnes atypiques de s’adapter, de changer et de s’ajuster à la norme », rappelle-t-elle.

Elle donne l’exemple d’une personne qui ne pourrait pas rester immobile tout au long d’une représentation théâtrale. « Est-ce que les membres du public dit neurotypiques seraient capables de s’ouvrir et d’accepter qu’il y ait des populations différentes dans la même salle qu’eux au moment d’aller voir un spectacle? », se questionne l’enseignante.

Bien que la recherche sur le programme de la PDA ne s’attaque pas spécifiquement à cette question, il s’agit d’un enjeu important pour Mme Gendron-Langevin. « On fait l’hypothèse qu’il va y avoir des questionnements qui vont surgir par rapport à ça », affirme-t-elle.

Mention photo Mikael Theimer

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