L’ère Zoom : un miroir déformant

Le télétravail et l’école à distance riment, depuis le début de la crise sanitaire, avec la multiplication des rencontres virtuelles. Chaque ride, cerne ou autre prétendue imperfection est scruté à la loupe sur l’écran par soi-même. En retour, complexes physiques, angoisses en lien avec l’image corporelle et chirurgies esthétiques sont au rendez-vous.

Pour certains et certaines, la pression de l’image accentuée par les rencontres en visioconférence est telle qu’ils et elles passeront sous le bistouri ou se tourneront vers des injections esthétiques. Selon l’American Society of Plastic Surgeons, les consultations, opérations et traitements esthétiques ont grimpé aux États-Unis d’environ 60% depuis un an. 

Si de telles statistiques n’ont pas encore été recensées au Canada, le Dr Nabil Fanous, chirurgien esthétique, a néanmoins observé une croissance significative des interventions pratiquées à l’Institut canadien de chirurgie esthétique à Montréal. Depuis la réouverture de la clinique en juin 2020, cette hausse se chiffre à 45% quant aux opérations esthétiques et à 55% pour les injections de Botox.

Le Dr Fanous explique notamment ce bond d’interventions esthétiques par  « le genre de caméra qu’on utilise pour les Zoom et les Facetime. » Il souligne que « les caméras de téléphone ou d’ordinateur ne sont pas faites pour filmer le visage ». Selon l’expert en chirurgie esthétique, ces caméras créent un effet de distorsion et ne renvoient pas une image fidèle à la réalité. « Plus on s’approche de la caméra, plus le visage est déformé. Les traits de la bouche et du nez sont agrandis », fait-il remarquer. 

Des complexes exacerbés

Cette forte augmentation des chirurgies esthétiques est symptomatique d’un rapport à l’image troublé par le contexte de la pandémie, croit Stéphanie Léonard, psychologue clinicienne spécialisée auprès de la clientèle ayant des enjeux avec l’image corporelle et fondatrice de l’organisme Bien Avec Mon Corps.

« Pour beaucoup de gens, c’est aliénant et dérangeant de se voir constamment [en visioconférence]. […] Humainement, on n’a pas de contexte, outre la pandémie, où l’on serait toujours en train de s’observer et de voir tous nos gestes, nos mimiques et nos défauts », fait valoir celle qui s’inquiète des impacts psychologiques à long terme liés à cette ère Zoom. 

Bien qu’il soit trop tôt pour que des études aient publié des données quant aux effets des rencontres par webcam sur l’image corporelle, Mme Léonard en entrevoit déjà les répercussions sur certain(e)s des patients et des patientes qu’elle reçoit dans son bureau dans le cadre de sa pratique privée. Pour ceux et celles « qui étaient déjà préoccupé(e)s par leur apparence physique et leur image corporelle [avant la pandémie] ou chez les gens qui avaient tendance à se comparer », la psychologue observe une exacerbation inquiétante de leurs complexes physiques et, par ricochet, de leur détresse psychologique.  

Lucie Parmentier, étudiante en communication à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), confirme le caractère anxiogène des rencontres via Zoom, plateforme qu’elle utilise pour suivre ses cours en ligne. « C’est angoissant, car je ressens toujours le besoin de regarder ma vidéo pour vérifier ce que les autres pourront voir. Ça me crée des complexes », révèle-t-elle. 

Une concentration malmenée

Le fait de s’épier durant de longues heures à chaque jour « nous rend très conscients de nos attributs et de notre image, affirme la psychologue Stéphanie Léonard. Ce que j’observe, c’est que ça empêche les gens d’être dans le moment présent. ». 

Pour Léonie Rioult, étudiante en communication à l’UQAM, la crainte d’être jugée négativement par ses pairs quant à son apparence l’empêche de s’investir pleinement dans ses études. « Dans un moment où je devrais vraiment être concentrée sur mon avenir et sur le contenu des cours, […] ça m’énerve d’être obsédée pendant des heures et des heures sur mon image », admet-elle. 

Malika Alaoui, également étudiante à l’UQAM, s’est butée au même problème : « Je trouve ça assez intense de devoir me regarder et d’écouter en même temps le cours. […] Je sens que je suis tout le temps crispée parce que je suis vraiment concentrée sur mon carré avec mon image », confie-t-elle. Finalement, l’étudiante a choisi de s’affranchir de cette pression du paraître. « J’ai choisi, pour la plupart des cours, de ne jamais allumer ma caméra. Je me sens un peu plus libre », avoue-t-elle. 

Décomplexer le dialogue

Afin d’entretenir un rapport plus sain à son image, la psychologue Stéphanie Léonard suggère dans un premier temps de fermer sa webcam lorsque possible, mais surtout de remettre en question son adhésion à des standards de beauté qu’elle juge irréalistes. « [La pandémie] peut jouer un rôle très paradoxal de nous mettre en pleine face cette obsession collective qu’on a avec l’apparence physique et de nous mobiliser à vouloir s’en détacher », plaide-t-elle. 

Lucie Parmentier mentionne en ce sens que la multiplication des appels vidéo depuis le début de la pandémie a été le catalyseur de discussions sur la vulnérabilité avec son groupe d’ami(e)s. « Avant [la pandémie], on ne parlait pas de la façon dont on se percevait nous-mêmes et de notre confiance en soi. Maintenant, on aborde plus le sujet et on se partage nos insécurités », se réjouit l’étudiante qui se sent désormais moins seule dans ses difficultés à aimer son image corporelle.

Illustration: Lila Maitre

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