La masculinité jusqu’au bout des doigts

Certains le font pour le look, d’autres pour défier les normes de genres. Peu importe les raisons, les hommes qui portent le vernis à ongles suscitent des réactions, en dépit de l’acceptabilité sociale croissante de cette pratique.

« Le fait de porter du vernis, quelque chose de traditionnellement féminin, ça m’aide à m’éloigner [des standards masculins toxiques] sans mettre en jeu ma masculinité », affirme Pablo Cordova, étudiant en relations internationales et en droit international à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). 

Pablo peint ses ongles depuis quatre ans. Si, au départ, c’était pour l’esthétisme, au fil du temps, l’étudiant est devenu plus conscientisé aux enjeux de binarité qui le motivent désormais à s’appliquer du vernis.

« Ça ouvre le dialogue à savoir c’est quoi être un gars, c’est quoi être une fille […], des enjeux de plus en plus importants », indique l’étudiant. La professeure de sociologie du genre et de la sexualité à l’UQAM Stéphanie Pache, qui dit avec le sourire avoir plusieurs étudiants qui portent le vernis dans ses classes, confirme que cette pratique leur permet de réfléchir aux rapports entre les genres.

« Même si ce n’est pas grand-chose de se mettre du vernis, ça suscite des réactions. C’est donc intéressant de voir que notre vie sociale est tellement codée que le vernis à ongles devient un enjeu », indique-t-elle.

Du vernis pour dépeindre les tabous

Ce stigma entourant les hommes aux ongles colorés a inspiré l’entrepreneur Oliver Kult à fonder la marque Blckout, qui commercialise entre autres un vernis noir pour les hommes afin de combattre la masculinité toxique. Les profits de la vente de produits Blckout seront entièrement remis à des organisations de prévention du suicide.

Pour l’ancien propriétaire de salons de barbier, adresser le produit exclusivement aux hommes permet de générer un sentiment d’appartenance chez ceux voulant porter le vernis. Le style plus masculin de Blckout se distingue des autres vernis noirs des magasins de cosmétique destinés à une clientèle féminine. « Même si c’est juste [une étiquette], ça change quelque chose, selon moi », explique Oliver, qui admet avoir été, par le passé, inconfortable dans des magasins de produits cosmétiques ne s’adressant pas à lui.

Révolution colorée

Pour Stéphanie Pache, l’acceptabilité sociale grandissante du vernis est en partie attribuable à la jeune génération, prête à contester les frontières entre le féminin et le masculin. Selon elle, le mouvement s’inscrit dans une révolution individuelle prônant la remise en question de ce qui est socialement prescrit.

Cette accessibilité croissante s’ancre aussi dans la médiatisation de la pratique, popularisée par des hommes comme l’humoriste Jay Du Temple, qui portent des vêtements non genrés et du vernis à ongles. Pablo Cordova a adopté le vernis en voyant d’autres hommes en porter: maintenant, il pense lui-même faire partie de ceux qui influencent.

Si Oliver Kult constate une grande variété de styles chez ses clients, il admet malgré tout que le vernis semble réservé aux garçons un peu plus « marginaux ». Pablo, malgré une acceptation voire une indifférence de son entourage immédiat, abonde lui aussi dans ce sens: « Dès que je sors un peu, je reçois un petit commentaire. » 

Selon Mme Pache, même si la démocratisation du vernis pourrait aboutir à un éventuel « dégenrement » des produits de cosmétique, il est également possible qu’elle perde son aspect révolutionnaire et anti-masculinité toxique. Les hommes pourraient donc ranger leurs pinceaux, mais sans pour autant fermer la porte à d’autres pratiques permettant de susciter des discussions.

C’est une prédiction que partage Pablo: « C’est sûr que je vais toujours vouloir combattre pour ces enjeux-là, je ne sais pas si plus tard, ça va être en portant du vernis. Mais présentement, ça passe en partie par là. »

Mention photo Marie-Jeanne Ledoux-Labelle | Montréal Campus

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