La musique en franglais au rythme de la société

L’anglais s’immisce de plus en plus dans les chansons des artistes québécois(e)s francophones. Si ce mariage des langues peut faire frissonner certains et certaines qui s’inquiètent de la préservation de la langue française au Québec, cette union est avant tout le reflet de la société dans laquelle elle prend vie.

Selon le rappeur Kirouac, qui forme un duo hip-hop avec le compositeur de musique Kodakludo, il s’agit d’une « représentation de la réalité de notre génération ». Il écrit les chansons pour le duo montréalais en y insérant des mots en anglais, mais parfois aussi en d’autres langues, de manière inconsciente. « L’écriture rap permet de s’exprimer dans le langage courant », précise-t-il.

« Adapter mon langage selon la chanson me permet d’avoir plus d’outils dans mon coffre », explique le rappeur. En utilisant plusieurs langues pour écrire ses paroles, il estime qu’il bonifie son éventail de possibilités.

La professeure associée au Département de musique de l’UQAM Vanessa Blais-Tremblay considère que l’emprunt de mots de la langue anglaise est un moyen d’écrire plus directement. Aussi, « ça change dans la résonance de la chanson dans l’espace public », ajoute-t-elle. La spécialiste en sociomusicologie explique que si on se rapproche de la langue parlée, on reste ainsi près du public.

Mme Blais-Tremblay croit que « le franglais est à l’image de la langue parlée par les créateurs ». Elle rappelle que les chansons sont généralement avant tout un moyen de s’exprimer.

Pour Kirouac, c’est un moyen de refléter différents contextes et d’atteindre le plus de personnes possible. C’est un avis que partage Jeremy Plante du groupe Mc12. « Le franglais est un moyen de rejoindre tout le monde », admet celui qui écrit la majorité des paroles pour le groupe de musique populaire. Selon lui, il s’agit d’un moyen d’accéder au « meilleur des deux mondes ».

Une lutte dépassée, ou pas

« Au Québec, on est obsédé par la préservation de la langue depuis des centaines d’années », rappelle la professeure agrégée au Département de littératures de la langue française, de traduction et de création de l’Université McGill Catherine Leclerc. Elle explique que « ce ne sont pas les pratiques artistiques qui font que les langues s’affaiblissent ». On doit plutôt craindre pour les langues qui ne sont pas soutenues dans le public, ajoute la professeure. Ainsi, « ce qui nuirait [à la langue française] est s’il n’y avait pas d’industrie musicale francophone », considère la sociolinguiste.

Selon le statisticien et professeur retraité de l’Université d’Ottawa Charles Castonguay, la présence du franglais dans la chanson est une situation « extrêmement inquiétante ». « C’est le reflet de l’invasion de l’anglais par les francophones », juge l’auteur d’un livre sur l’état du français au Québec paru en mars 2021. Il estime que l’anglais a pénétré jusqu’au cœur du quotidien, reflétant ainsi l’assimilation des francophones à la culture anglo-américaine.

Charles Castonguay est d’avis que la présence de mots en anglais dans les paroles de chansons francophones est le signe de l’appauvrissement de la langue française. « Le français ne suffit plus pour décrire le monde », déplore-t-il. Cette nouvelle réalité est très préoccupante pour le professeur, qui croit que « les artistes sont ceux qui nous annoncent l’avenir ». « Si le français n’a pas sa place [dans cet avenir], c’est extrêmement inquiétant ». 

Affirmer son identité

Charles Castonguay voit dans l’intérêt grandissant pour la culture anglaise un désir de devenir anglophone, qu’il considère comme étant une situation « grave ». Dans son livre Le Français en chute libre : la nouvelle dynamique des langues au Québec , des statistiques exposent que les jeunes s’anglicisent de plus en plus, ce qui inquiète d’ailleurs l’auteur.

Ce ne sont pas des préoccupations à l’ère du temps, croit Kirouac. « Il ne faut pas rester dans les combats d’une autre époque », croit-il. Il considère que les inquiétudes sont liées à un « malaise identitaire » chez certaines personnes auquel il ne s’identifie pas du tout. Le rappeur affirme que « c’est la langue québécoise qui m[l]’intéresse, pas la langue française ».

Jeremy Plante reconnaît que c’est difficile de « ne pas s’affirmer complètement francophone ou anglophone. […] On perd de la crédibilité ». Malgré tout, il souligne que ses chansons qui marient le français à l’anglais sont celles qui ont eu le plus de succès. Pour leur chanson Ici, Jeremy Plante a exagéré l’utilisation des deux langues ; il s’agit de leur meilleur succès à ce jour. Dans celle-ci, le musicien aborde d’ailleurs son attachement pour la Belle Province. 

Catherine Leclerc et Vanessa Blais-Tremblay comparent toutes les deux cette aversion de plusieurs quant au franglais dans la musique à celle qu’a reçue l’arrivée du joual dans les années 1960. Robert Charlebois a été l’un des pionniers dans l’industrie musicale, rappelle Mme Blais-Tremblay. De son côté, Mme Leclerc rappelle que si l’on s’inquiète actuellement du franglais dans la musique, il ne s’agit pas d’une menace pour la préservation de la langue française, tout comme l’aura été le joual. Le rappeur Kirouac est d’avis qu’ « une langue qui se cristallise dans une pureté est une langue qui meurt ».

Mention photo: Camille Dubuc

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