Tiohtià:ke/ Montréal, le 22 avril 2021
Nous avons entamé notre dernière année de formation au baccalauréat en danse contemporaine de l’UQAM en septembre dernier. Au même moment, plusieurs artistes du milieu des arts vivants – celui pour lequel on aspire à œuvrer – se réorientaient et certaines écoles d’art n’offraient plus de cours en présentiel. Chaque jour, nous assistions à de tristes changements dans notre société, nous avancions dans le doute, sans savoir si notre formation serait maintenue, si les spectacles auraient lieu et si nous allions devoir, comme en mars dernier, tout laisser derrière nous du jour au lendemain.
Nous questionnons le fait de prendre parole dans un tel contexte. Nous nous sentons ambivalentes face à ce privilège de pouvoir avoir accès à nos corps, à un art vivant et présentiel. Notre souffle étouffé par les masques, nos corps aseptisés, le toucher quasi impossible nous limitent et nous épuisent.
Bien qu’au début le mot chance qu’on nous collait à la peau nous paraissait absurde – vu les sacrifices, les deuils que nous avions à faire et le fait que nous échappions à la réalité des artistes privés d’œuvrer uniquement parce que nous avions payé nos frais de scolarité − nous l’interprétons différemment aujourd’hui. Cette chance ne serait-elle pas aussi une forme de responsabilité, envers le milieu des arts et celui de la danse?
Nous pensons que si chance il y a, elle réside dans la possibilité de repenser le concept de solidarité, de revoir et reformuler nos idéaux et de célébrer nos corps comme moyen de résistance. Car au vu de ce que nous avons fait de notre privilège et au vu de notre travail passionné, nous avons l’envie de croire que nos aspirations se valent, qu’elles sont possibles. Cependant, cette pensée demeure fragile: lorsque nos questionnements nous submergent et que nos deuils n’ont pas la possibilité d’être assimilés, la place donnée à nos ambitions est parfois mise de côté pour être remplacée par des tactiques de survivance.
Nous sommes conscientes que notre choix n’est pas celui de la facilité. Qu’être artiste et surtout danseur.euse signifie vivre dans le doute, l’incertitude et la précarité. Toutefois, c’est en voyant comment les artistes en arrachent depuis le début de la pandémie et comment un an plus tard, cogner à la porte du gouvernement leur est encore nécessaire pour réclamer ce qui leur est dû que pour nous, il n’est plus question de doute, mais bien d’angoisse. Nous savions que le passage de l’université au milieu professionnel allait être ardu, mais la crise sanitaire ne fait qu’amplifier nos appréhensions.
En soutien à tou.s.tes les finissant.e.s d’une formation artistique
Nous réclamons notre droit à l’espoir. Notre droit de pouvoir penser que c’est un métier que nous pourrons pratiquer.
Nous ne sommes que les quelques témoins d’une réalité : celle des jeunes artistes qui auront terminé leurs formations sur des scènes face au vide des sièges, en attente d’opportunités d’un milieu où les métiers s’amenuisent.
Ces mots sont aussi un appel à la solidarité : nous nous engageons à nous tenir les unes les autres, à créer nos opportunités et nous avons besoin d’entendre que les finissant.e.s ainsi que les personnes du milieu se tiennent elles aussi – qu’il leur reste de l’espoir tout autant que nous pour la suite.
Avec reconnaissance
Envers tous.tes les employé.e.s de l’UQAM qui se sont battus à maintes reprises pour nous donner le droit d’habiter l’espace des studios de manière sécuritaire cette année et à tous ceux et celles qui ont travaillé à nos côtés pour nous permettre de créer et de faire vivre nos spectacles.
Merci.
En ces temps où le partage, la communication et la rencontre forment un casse-tête, nous avons cru judicieux d’écrire. Merci à tous ceux et celles qui ont pris le temps de nous lire.
Léonie Bélanger
Fanny Bélanger-Poulin
Mélusine Bonillo
Béatrice Cardinal
Camille Courchesne-Couturier
Jacynthe Desjardins
Margaux Guinot
Léa Kenza Laurent
Claire Pearl
Émilie Perrault
Johanna Simon
Lola Thirard
Estelle Weckering
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