Avec la baisse en popularité des pratiques religieuses au Québec, les rites funéraires traditionnels semblent aujourd’hui décalés par rapport aux valeurs des générations qui ont à cœur les luttes environnementales. De plus en plus d’individus se tournent donc vers les options écologiques pour le dernier voyage.
Les cercueils et les urnes, constitués de produits manufacturés, ainsi que les substances chimiques utilisées dans la pratique de l’embaumement ont des effets néfastes sur l’environnement. Ces matières mises en terre, mélangées aux résidus des corps, génèrent « des bactéries et des virus pouvant potentiellement contaminer les eaux souterraines et infecter les populations s’approvisionnant à partir de ces eaux », selon une étude de Denis Gauvin, conseiller scientifique à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) .
Le complexe funéraire, qui prône ces méthodes, nous est souvent présenté, à tort, comme un passage obligé. Il existe d’autres moyens de disposer de son corps qui respectent davantage l’environnement.
C’est en regardant un documentaire de La semaine verte sur la « pollution extrême des cimetières » que le propriétaire d’Urne Bio Canada Jean-Philippe Gallard a eu l’idée d’importer des États-Unis le concept de faire pousser un arbre à partir des cendres d’un individu.
Depuis 2014, l’entreprise se spécialise dans la vente d’urnes faites de fibres recyclées qui se décomposent dans le sol ainsi que de boutures d’arbres mesurant environ un pied. Le réceptacle écologique est accompagné de matières acides qui contrebalancent l’alcalinité des cendres, favorisant ainsi la pousse du végétal. Le taux de succès de la croissance de l’arbre est d’environ 80%.
« D’année en année, les chiffres [d’affaires] augmentent », affirme l’entrepreneur. Sa clientèle, plus diversifiée en termes d’âge qu’il ne s’attendait au début, est attirée par cette option pour des raisons environnementales, mais aussi financières. « Les gens achètent ce produit parce qu’ils n’ont pas envie de passer par le scénario habituel qui coûte extrêmement cher », explique-t-il. Son produit, qui inclut l’urne biologique et la bouture d’un arbre, revient entre 300 $ et 400 $.
Conseiller aux complexes funéraires Alfred Dallaire Memoria, Martin Carpentier qui offrent des services classiques autant que des options plus écologiques, parle aussi d’un phénomène en hausse : « À chaque semaine on a une demande d’information à ce niveau-là ». Ils offrent notamment un enterrement dans un cercueil le plus naturel possible, ainsi qu’une urne entièrement faite de glace, qu’on peut placer sur l’eau jusqu’à ce qu’elle fonde. « [Mais] les changements sont longs. C’est un milieu assez conservateur, étant régi par l’Église », témoigne le conseiller funéraire.
« Si on peut faire du bien à notre planète avec notre urne et donner aux gens un bel endroit où se ressourcer, pourquoi pas ? », estime Jean-Philippe Gallard, qui propose parmi ses services une plantation située dans les Laurentides pour enraciner son arbre.
Partir l’esprit tranquille
Devenir un arbre, c’est précisément ce qu’Ariel Kirouac envisage de faire. L’étudiante au baccalauréat en relations publiques à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) justifie cette volonté par la nécessité que sa mort soit à l’image de qui elle est. « Ça me représente, ça reflète surtout la manière dont je vais avoir vécu ma vie. Toute ma vie, je veux essayer d’avoir le moins d’impacts néfastes sur l’environnement possible, donc ça va de soi que la manière de disposer de mon corps ou de faire mes funérailles reflète ça », croit-elle.
La jeune universitaire de 22 ans a découvert cette façon atypique de partir de ce monde au Festival Zéro Déchet de Montréal. Elle voit en cette alternative « une manière de quitter l’esprit tranquille » et a d’ailleurs entamé des recherches pour concrétiser la chose. « C’est un beau dernier geste écologique qu’on peut faire pour la planète […] de redonner notre corps à la nature parce qu’au fond, les humains font partie de la nature, confie l’étudiante. Aussi, je trouve que c’est symbolique, c’est comme une partie de nous qui va renaître dans cet arbre-là. »
Ariel Kirouac sent que la mort est un sujet moins tabou pour sa génération, qui peut en parler plus ouvertement. « Je pense que le rapport à la mort est beaucoup plus varié qu’avant, parce qu’on n’est plus endoctrinés par une manière spécifique de voir la mort, contrairement à lorsque tout le monde était croyant », affirme-t-elle, disant ne pas avoir à cœur les méthodes traditionnelles.
Devoir de mémoire
Les raisons de délaisser les pratiques traditionnelles sont multiples, mais « [c’est] souvent parce qu’elles sont justement traditionnelles », soutient la docteure en anthropologie et professeure au Département de communication sociale et publique de l’UQAM Luce Des Aulniers. « C’est que nous sommes au cœur de l’idéologie qui fait équivaloir “passé” à ”périmé” », précise-t-elle.
L’exposition a connu la plus importante décroissance dans les dernières décennies, relève Mme Des Aulniers. À une époque axée sur le rendement du temps, l’acte de prendre des heures, voire des jours pour veiller nos morts semble lointain et abstrait. « En ce sens, il y a une rupture phénoménale avec les millénaires passés », souligne-t-elle.
La professeure voit d’un bon œil l’action de planter un arbre qui pousserait à même les cendres d’une personne défunte pour conserver une trace de son passage sur terre. Toutefois, elle « insiste sur l’idée d’un cimetière arbustier ou forestier qui recueille les restes des morts les moins “traités” possible, un lieu dans lequel les plantations sont identifiées, par groupe ou autrement [pour] que tout visiteur sache qu’il entre dans un lieu sacré, non pas religieusement, mais de ce que l’existence de chacun doit à celle [de ses prédécesseur(e)s]. » En somme, pour que le souvenir de l’être aimé incarné par l’arbre soit préservé, encore faut-il qu’il soit planté dans un espace prévu pour faire persister la mémoire collective.
Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus
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