Apprendre à s’aimer au travers de la lentille

De plus en plus de photographes se spécialisent dans la prise de portraits sans retouches pour déconstruire les idéaux de beauté, souvent propagés par des images retouchées. Mettre en valeur l’esthétisme et l’unicité de corps diversifiés permet à plusieurs de se réconcilier avec leur apparence. 

Bien que les réseaux sociaux témoignent d’une plus grande diversité corporelle, le paysage médiatique québécois se démarque toujours par son manque de représentation, selon les artistes rencontré(e)s par le Montréal Campus. « Quand je compare le Québec à d’autres parties du monde, je réalise qu’il reste beaucoup de travail à faire lorsqu’il est question d’inclusivité », constate la modèle et photographe Esther Calixte-Béa (@queen_esie), qui admet ne jamais avoir vu de femmes qui lui ressemblent dans les médias en grandissant.  

« Je pense aux jeunes filles en ce moment et je suis contente qu’elles aient une plus grande diversité de modèles, mais il ne faut pas non plus s’asseoir sur ses lauriers. La diversité ce n’est pas une mode, on a besoin d’efforts constants », implore Mme Calixte-Béa.

L’ancienne athlète et mannequin Pernelle Marcon, qui lutte contre le capacitisme – cette discrimination qui présuppose que les personnes ayant une handicap ou étant neurodiverses sont moins capables que les personnes qui n’ont pas une handicap ou qui sont neurotypiques –, pense que « Sans représentation, c’est très difficile de se projeter. Et puis, la normalisation de certains corps fait beaucoup de dégâts sur la santé mentale », mentionne-t-elle. 

D’un autre oeil

« Voir mon corps différemment en fonction des cadrages et des angles m’a permis de le comprendre davantage. On découvre de nouveaux morceaux de soi », confie Alizée Pichot, autrice et porte-parole de Maipoils, ce mouvement qui encourage les femmes à redécouvrir leur pilosité. 

Pour les modèles, les séances de photographie deviennent souvent thérapeutiques parce qu’elles leur permettent de se réconcilier avec leur corps. La photographe montréalaise Charlotte Rainville, connue sous le pseudonyme jailli sur Instagram, croit également que se voir au travers de la lentille « d’une personne dont la priorité est de te faire sentir beau ou belle » peut être bénéfique pour la confiance de ces modèles. « Des fois, on a juste besoin que quelqu’un nous dise : “Regarde, c’est comme ça que les autres te perçoivent, tu es magique!” », ajoute la photographe.

C’est aussi l’occasion pour plusieurs femmes de se libérer de la pression qu’exerce sur elles le male gaze (regard masculin), qui cherche à les sexualiser et à les chosifier. Selon la définition du concept, c’est au travers de ce regard masculin que sont établis la majorité des mythes de beauté propagés dans les médias. 

« Une fois que j’ai compris ce qu’était le male gaze, mon amour propre a augmenté. Je n’essaie plus de plaire aux hommes, je me concentre sur mes propres standards et j’essaie de me plaire à moi-même », raconte la modèle et étudiante en relations internationales et droit international à l’UQAM Sheila Suos.

C’est dans ce même ordre d’idées qu’Esther Calixte-Béa a lancé son projet Lavender, une série d’autoportraits qui mettent en avant les poils sur sa poitrine dans le but de les normaliser. « La pilosité féminine est sous-représentée. Elle est encore l’objet de beaucoup de critiques. On ne montre que des corps lisses et blancs », s’exprime l’artiste. 

Contre les tabous

Longtemps occultée et réprimée, la photographie boudoir – ou de modèle nu et semi-nu – refait tranquillement surface grâce aux réseaux sociaux. Ce genre s’intéresse à la beauté et à l’esthétisme du corps humain sans nécessairement chercher à le sexualiser.   

« À mon avis, ce qui en fait de l’art, c’est cette volonté des photographes et des modèles d’aller briser les tabous, de pousser, de critiquer et de détruire les standards de beauté de notre société », soutient la modèle boudoir et étudiante au baccalauréat en arts visuels à l’UQAM, Amély Thérien Tremblay. Ainsi, le but premier du boudoir est de démontrer que tous les corps méritent d’être valorisés.

La diversité et la représentation sont des thèmes qui se retrouvent au cœur de cet art. « Pour moi, c’est important de travailler avec des gens qu’on voit dans la vie de tous les jours. Je ne refuserais jamais de photographier un modèle à cause de son apparence », affirme la photographe Charlotte Rainville, qui espère que d’ici cinq ans, la retouche photo et les distributions tokénisantes cette idée qu’il doit y avoir de la diversité seulement pour éviter les accusations de discriminations soient des réflexes du passé.

Un changement qui en prépare un autre

Des compagnies québécoises apportent d’ailleurs un renouveau dans l’industrie de la mode québécoise grâce à leurs campagnes publicitaires inclusives. « Notre but est d’aller chercher le plus de visages possible. On comprend que ce n’est pas qu’une question de taille », expliquent les fondatrices de la compagnie J3L Lingerie, Jeanne Lebel et Laurence Lafond. Elles ajoutent que la plupart des femmes avec qui elles travaillent ont de la difficulté à accepter leur corps. « On les aide à briser les barrières et c’est un cheminement qui se reflète dans nos campagnes publicitaires », ajoutent les créatrices de J3L Lingerie. 

La compagnie de maillots de bain et de vêtements Mimi & August reçoit quant à elle quotidiennement des commentaires de gens qui apprécient l’honnêteté de ses photos. « On voit la cellulite, les vergetures et nos client(e)s peuvent facilement s’y reconnaître », indique l’assistante en vente et marketing Laurie Schulz. 

Un vent de changement souffle sur l’industrie de la photographie avec l’arrivée d’une représentation corporelle variée. Si la bataille pour l’inclusion et la diversité est encore loin d’être gagnée, beaucoup d’artistes photographes et d’entreprises de lingerie démontrent une volonté de faire tomber ces standards. « La photographie a longtemps été utilisée pour construire les standards de beauté. Je crois qu’on peut utiliser ce même média pour les déconstruire », espère Mme Calixte-Béa.

Photos fournies : Charlotte Rainville

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