Les ressources téléphoniques d’aide psychologique sont en première ligne pour offrir de l’appui aux personnes dans le besoin. À l’autre bout du fil, mais aussi derrière l’écran, les voix qui conseillent et répondent aux appels à l’aide proviennent de personnes à part entière, pour qui cette réalité exigeante est quotidienne.
« On est vraiment amené à suivre notre propre rythme et être à l’écoute de nos besoins », explique Alexandra Fournier, intervenante depuis deux ans chez Tel-Jeunes, qui propose ses services au téléphone, mais aussi par texto ou par courriel aux jeunes de 20 ans et moins ainsi qu’aux parents.
La répondante, qui complète actuellement sa maîtrise en sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) a toujours eu un attrait pour la clientèle des jeunes adultes, ayant travaillé auparavant en milieu d’intervention. « Je trouvais ça intéressant la possibilité d’intervenir sur des problématiques super diversifiées. C’est encore ce que j’aime de mon travail, affirme-t-elle avec passion. Oui, assurément on va parler de santé psychologique, mais […] aussi de relations amoureuses, de sexualité, on va parler de comment ça se passe avec les amis, avec la famille, comment ça se passe à l’école ».
Tel-Jeunes a d’ailleurs aidé Benjamin Trudel, étudiant en arts visuels de l’UQAM, lorsqu’ils se posait des questions sur sa sexualité. Sa correspondance par courriel avec les intervenants et les intervenantes s’est étalée du secondaire jusqu’au cégep. « Ça faisait du bien de savoir [qu’on] me prenait au sérieux et j’avais vraiment l’impression que quelqu’un était de l’autre côté [de l’écran], puis prenait le temps de lire mes problèmes », se remémore-t-il.
« Notre approche part vraiment de ce que le jeune connaît et on part des moyens qu’il a. On ne se met pas [la] pression de trouver des solutions pour lui », exprime Alexandra Fournier.
Elle insiste sur l’importance de prendre soin de soi, autrement son travail s’en verrait affecté. « Les moments où je me sens un peu plus atteinte par les interventions que je fais, je le vois vraiment comme un signal d’alarme », avoue-t-elle. L’intervenante s’octroie alors une pause, pour se distancier mentalement et physiquement de son travail, en sortant prendre l’air, par exemple. Changer de pièce lui permet de tracer la ligne avec ce qu’elle vient de vivre et de laisser une intervention éprouvante derrière elle. Alexandra Fournier se dit également chanceuse de pouvoir compter sur une équipe soudée, les intervenants et intervenantes communiquant beaucoup ensemble pour se soutenir.
Agir pour empêcher de passer à l’acte
« On dirait que de l’extérieur ça a l’air pire que c’est, parce qu’un coup que tu es à l’intérieur, tu es encadré de pleins d’autres gens qui sont en train de faire ça aussi » estime Joëlle*, intervenante bénévole pour Suicide Action Montréal. L’étudiante, qui donne quatre heures de son temps par semaine à l’organisation depuis un an, a demandé l’anonymat, craignant qu’une personne ne s’empêche d’appeler la ligne en reconnaissant ici son nom.
La jeune femme avait toujours redouté le lourd sujet. « Le fait de ne pas savoir comment aborder [le suicide], c’est ça qui m’a poussé à vouloir m’impliquer là-dedans, pour pouvoir mieux être là pour les autres, confie-t-elle. J’étais en session sabbatique […] et ça me paraissait être l’organisme auprès duquel je pouvais faire une plus grande différence ».
Après avoir complété sa formation, le saut vers le téléphone et l’interaction avec une « vraie personne » en détresse psychologique stressait Joëlle. Si au départ, elle appréhendait l’idée de porter sur ses épaules le sort des appelants et appelantes, elle « [n’a] jamais senti que [sa] tâche était de déterminer si la personne vivait ou si la personne mourait ».
Le réel défi à ses yeux, c’est d’interrompre les appelants et appelantes dans leurs confessions pour les diriger vers une ligne spécialisée à leurs problèmes. « Il y a beaucoup de gens qui appellent qui ne pensent pas au suicide. […] Je veux vraiment les aider et je suis contente de l’appel, mais notre mission c’est de prévenir le suicide, donc on ne peut pas commencer à passer du temps avec chaque appelant pour parler […] de quoi que ce soit, relate-t-elle. [Mais] si c’était juste de moi, je les prendrais tous les appels. »
Faire la différence
« C’est un travail à double tranchant, dans le sens où on ne voudrait pas que les gens aient besoin de nous, exprime Mylène Gauthier, coordonnatrice de la Ligne-ressource provinciale pour les victimes d’agression sexuelle. On voudrait que personne ne nous appelle, parce que [ça voudrait dire que] personne ne [vivrait] de violences sexuelles ».
Diplômée de l’UQAM, son parcours professionnel l’a amenée au Niger, où elle a rencontrée plusieurs femmes victimes de violence sexuelle, celles-ci étant à la source de son intérêt pour la problématique. Elle travaille depuis 2008 au Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM).
« Je trouve toujours préoccupant ou inquiétant de dire publiquement que ça peut être un travail difficile psychologiquement, parce que ce n’est pas aux victimes de prendre soin des intervenants ou intervenantes, estime-t-elle. Ce n’est pas le rôle des victimes de se préoccuper de nous. Moi, mon travail, ça fait aussi partie de ça ». Des mécanismes sont mis en place au CVASM pour prendre soin de soi, notamment des réunions entre intervenantes pour discuter de ce qui est plus dur.
Mylène Gauthier souligne que les moments difficiles surviennent lorsque des mouvements sociaux, tels que la vague de dénonciations d’harcèlement et d’agressions sexuelles de l’été dernier, envahissent la sphère privée, ne permettant plus de se détacher de cette réalité.
Elle raconte toutefois que certaines personnes vont rappeler des années plus tard juste pour témoigner leur reconnaissance et donner à l’organisation. « Définitivement, je pense que [Tel-Jeunes] a un impact, estime quant à elle Alexandra Fournier. Les jeunes ou les parents nous le nomment directement : ils vont nous remercier de l’aide qu’on leur a apporté, [dire que lorsqu’ils] sont arrivés c’était un peu comme une grosse montagne dans leur tête ce qu’ils vivaient et maintenant ils voient [davantage] l’horizon ou le premier pas qu’ils sont capables de franchir vers [la] solution ».
*Nom fictif pour préserver l’anonymat
Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus
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