La dépression au fil de l’art

Convoitée autrefois par les artistes comme un signe de distinction, et aujourd’hui évoquée comme un « outil de soin », la dépression est depuis longtemps un enjeu exploré par le corps artistique. Rétrospective sur la représentation qui en est faite dans l’univers de l’art.

La mélancolie – terme utilisé autrefois pour la dépression – prend ses racines dans l’Antiquité, plus précisément à la Grèce classique. Le concept apparait  dans le Corpus hippocratique, livre contenant une soixantaine de traités médicaux et où Hippocrate expose sa théorie sur les quatre humeurs: le sang, le flegme, la bile jaune et la bile noire. Une personne affligée par un déséquilibre de la bile noire était alors considérée comme mélancolique.   

C’est aussi à cette époque que le lien entre la mélancolie et le tempérament artistique est exploré, notamment dans les Dialogues de Platon. « La mélancolie est très valorisée dans les arts, car c’est une forme de génie. Elle permet d’accéder aux replis des âmes humaines, ce qui n’est pas donné à tout le monde », estime la professeure du département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Peggy Davis. 

Très prisé par les artistes, le concept de mélancolie voyage à travers divers courants artistiques sous une iconographie bien particulière. « La tête appuyée sur la main est une image qui revient souvent pour désigner la mélancolie dans l’art », explique la professeure. La gravure sur cuivre Melencolia I  d’Albrecht Dürer (1514)  en est un célèbre exemple : on y voit un ange, un personnage féminin, avec le coude appuyé sur sa joue. Le tableau Mélancolie (1801) de la peintre Constance-Marie Charpentier illustre une attitude déplorée, un sentiment de recueillement dans la nature et l’exacerbation des émotions, qui sont eux aussi des codes dans l’art visuel pour représenter la mélancolie. 

Francisco de Goya déroge à cette constance avec sa gravure intitulée Le sommeil de la raison engendre les monstres (1798). « Quand la raison s’endort, ça déchaîne les monstres de l’instinct. Ce qu’on voit dans l’œuvre de Goya est la figure de l’artiste qui est abattu par les créatures qui viennent le hanter et l’oppresser », énonce Mme Davis. 

L’œuvre de Goya évoque la mélancolie par l’attitude de la figure de l’artiste qui est écrasé par ses tourments. 

D’une esthétique à un outil de soin 

« Même si on peut associer la mélancolie à la dépression aujourd’hui, le concept de la maladie mentale est de notre époque. Ça nous oblige à voir le passé avec nos standards », souligne la professeure titulaire du Département des sciences historiques de l’Université Laval, Françoise Lucbert. Le concept de la maladie mentale remonte au 19e siècle lorsqu’il y a eu des avancées dans le domaine de la psychiatrie. Un intérêt clinique est alors né pour « l’univers de ce qu’on appelait la folie » selon Mme Lucbert. 

« Aujourd’hui, on n’a plus les mêmes codes visuels qu’autrefois pour traiter de la dépression dans l’art », croit Peggy Davis. La doctorante en communications à l’Université Concordia Fanny Gravel-Patry abonde dans le même sens. Puisque la maladie mentale est « plurielle » , elle croit qu’il n’y a plus la volonté de la représenter, mais plutôt de le faire pour mieux se comprendre. « Les images deviennent des outils de soin pour comprendre ses propres états. En comprenant ce que tu vis, il devient plus facile d’habiter ton corps et ton esprit », explique-t-elle.

Elle mentionne que les illustrations publiées sur les comptes Instagram de Ambivalently yours et Les folies passagères sont des exemples d’images qui incitent les gens à prendre soin d’eux et d’elles-mêmes.  « On a l’habitude de parler d’Instagram comme d’une plateforme qui est visible pour tous, mais il y a tellement de pratiques intimes avec le contenu que l’on voit. » Ces pratiques consistent à envoyer des images qui traitent de la santé mentale à ses proches ou encore de les garder pour soi. À son avis, « ces pratiques participent à un changement plus large dans la société puisqu’elles aident ces personnes à accepter leur maladie mentale. Pour éventuellement faire un effet boule de neige. »

La dépression en chanson

 « Quand j’ai fait cette chanson, je n’étais pas dans un bon état d’esprit, je n’étais pas très bien mentalement. Cette chanson m’a permis de passer à travers », raconte le rappeur Montréalais Kareem au sujet de son titre Mea Culpa sorti le 29 janvier dernier. Dans sa chanson, le jeune Montréalais d’origine marocaine, qui considère la musique comme  « une thérapie », parle de son vécu et des raisons qui l’attristent. 

Kareem confie que cela faisait longtemps qu’il voulait aborder le suicide dans un vidéoclip puisqu’il « voulait choquer les gens et qu’ils et elles soient conscient(e)s que le suicide et la dépression sont réels » . Il ajoute que l’intention derrière la chanson est de montrer à ceux et celles qui vivent des moments difficiles qu’ils et elles ne sont pas seul(e)s dans leurs souffrances et qu’il est possible de se faire aider.   

Selon Peggy Davis, il est normal que le mal de vivre « refasse surface » dans l’art surtout avec ces temps de confinement qui bouleversent le quotidien des gens. « En ce moment, le contexte pandémique est propice à une éclosion de mélancolie. Le mal de vivre est récurrent autant dans l’histoire que dans l’art surtout lorsqu’on est en période de grandes incertitudes », pense-t-elle.  Si l’art témoigne des crises de l’humanité, il sert aussi de médium pour les traverser.

Mention illustration Lila Maitre | Montréal Campus

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