Quand la fiction crée des passions

Les films et les séries, pour des raisons cognitives et émotionnelles, ont un pouvoir d’influence qui peut être marquant chez le public. Ils peuvent semer de nouvelles passions ou créer, parfois à l’échelle mondiale, un attrait pour certaines disciplines.

« Les séries ont nourri mon amour [pour la médecine] », raconte Imene Inès Kalai, qui étudie présentement la médecine après avoir visionné des séries télévisées telles que Grey’s Anatomy et Dr House. C’est de voir à quel point la vie humaine comptait pour les médecins de ces fictions et leur dévouement à sauver des vies qui l’a convaincue à prendre cette voie. « Mes yeux brillaient en les regardant et, de jour en jour, je me voyais dans l’avenir, courir dans les couloirs de l’hôpital avec ma tenue de bloc », admet l’étudiante. 

Madeleine Cloutier, quant à elle, a redécouvert les échecs, un jeu qu’elle aimait dans son enfance, grâce à la série du Jeu de la dame (Queen’s Gambit en version originale). « Je jouais pour le fun avant, mais je n’avais jamais réalisé à quel point ça pouvait être stratégique », explique l’étudiante en ergothérapie. « Pour Noël, j’ai demandé des livres sur les échecs et un jeu d’échecs. Je ne pense pas que j’aurais demandé ça si je n’avais pas écouté la série. » Mettant en scène une championne du jeu d’échecs, Le Jeu de la dame a créé un engouement mondial depuis sa sortie en octobre dernier sur Netflix et les ventes d’échiquiers ont explosé.

Les neurones miroirs

La professeure à l’Université de Montréal (UdeM) et spécialiste des phénomènes de type sériel, Marta Boni, explique l’envie de pratiquer une discipline vue à l’écran par les neurones miroirs qui, dans nos cerveaux, nous font refaire les gestes qu’on voit pour mieux les comprendre. « Si vous me voyez gesticuler et prendre une tasse de café, pour comprendre ce que je suis en train de faire, dans votre tête, vous le reproduisez vous-mêmes », explique-t-elle. Cette découverte scientifique permet d’expliquer que l’attachement avec les personnages fictifs passe aussi à travers notre corps. « On reproduit pour comprendre, pour suivre le récit. Il y a l’apprentissage d’une technique là-dedans », ajoute la professeure agrégée.

L’histoire du Jeu de la dame suit une jeune orpheline et son apprentissage des échecs de son enfance jusqu’à ce qu’elle devienne championne. Par le biais de son histoire, l’audience a l’impression d’apprendre avec l’héroïne, de vivre sa passion et son obsession. Cela explique pourquoi certain(e)s peuvent avoir envie de transposer cet engouement, qu’ils et elles vivaient par procuration jusque là, à leur vraie vie. 

L’accessibilité du jeu d’échecs exacerbe aussi ce phénomène d’après Mme Boni : « On peut aller dans n’importe quel magasin pour s’acheter un échiquier et donc reproduire cette expérience. » Elle donne aussi l’exemple du Quidditch, sport issu de l’univers d’Harry Potter. L’attrait de cette discipline magique étant grand, les adeptes ont créé une version au sol sans magie, faute de pouvoir voler sur un balai et jouer avec des balles « vivantes ». Le public est donc aussi capable de rendre une discipline accessible s’ils le veulent vraiment.

Pour le chercheur à la Chaire de recherche du Canada en Études cinématographiques et médiatiques (en partenariat avec l’UdeM) Thomas Carrier-Lafleur, le public est fasciné par les représentations du génie, souvent un personnage antipathique, mais attachant. « En fait, c’est de la projection. Nous, en tant que téléspectateurs, c’est sûr que c’est intéressant de voir quelqu’un de génial dans ce qu’il fait », déclare-t-il. Selon lui, l’engouement n’est peut-être même pas autant lié à l’envie de jouer aux échecs qu’à la projection d’être un(e) génie dans quelque chose.

L’intention des cinéastes

Pour Frédéric Desjardins, réalisateur québécois, le but premier d’un cinéaste n’est pas d’influencer le public à s’intéresser à un élément précis. Il donne l’exemple de l’équipe de production des 101 Dalmatiens qui n’aurait jamais pensé que la race de chien deviendrait aussi populaire à la sortie du dessin animé. « Ce chien n’est pas nécessairement fait pour les familles et n’est pas facile à élever. Plein de monde en [ont] acheté et, finalement, il y en a beaucoup qui se sont retrouvés à la SPCA ou l’équivalent à travers le monde, parce que les gens s’en débarrassaient  », déplore-t-il. Une œuvre peut donc avoir une influence négative, bien qu’involontaire.

Le désir des cinéastes est plutôt de raconter une bonne histoire, mais tant mieux si leur film réveille des passions, selon Frédéric Desjardins. Dans son travail, celui-ci est surtout soucieux de transmettre une histoire qui porte un message. « Dans certains cas, ce message peut même éveiller des consciences ou changer ta façon de voir les choses », explique le réalisateur venant de sortir son dernier court-métrage, Contact.

Pour Marta Boni, c’est un plaisir humain de plonger dans des mondes imaginaires : « Les personnages fictionnels nous donnent l’occasion de vivre par procuration des choses qu’on n’a pas l’occasion de vivre tout le temps. », explique la spécialiste. Le cinéma et les séries ont  ce pouvoir d’ouvrir le champ des possibles dans nos têtes et de nous faire découvrir des disciplines à travers les personnages et leurs histoires.

Mention photo Netflix

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