Autosuffisance alimentaire : le Québec a du pain sur la planche

La possibilité que le Québec puisse subvenir pleinement à ses besoins alimentaires est devenue particulièrement alléchante, depuis que la pandémie de COVID-19 a engendré une incertitude alimentaire. Pour y parvenir, la société doit être sensibilisée aux réalités agricoles, croient les experts et les expertes rencontré(e)s par le Montréal Campus

En ce moment, la province couvre 35% de son alimentation, en comparant sa production par rapport à sa consommation, constate le professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval Patrick Mundler. Malgré un investissement du gouvernement de François Legault de 157 millions de dollars pour développer la productivité de l’industrie bioalimentaire annoncé le 19 novembre dernier, M. Mundler croit qu’il serait « utopique » d’espérer une pleine autonomie alimentaire québécoise. Il évoque cette « dépendance » de la société à divers aliments que notre climat québécois ne permet pas de cultiver ici, comme le café, le riz et les bananes, ainsi qu’aux machines et à la main-d’oeuvre nécessaires à une production intensive. 

Faire des sacrifices 

« Pour favoriser l’autosuffisance alimentaire, il faut faire le choix de s’approvisionner localement », indique le directeur des relations communautaires de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’environnement de l’Université McGill et vice-président de l’Ordre des agronomes du Québec, Pascal Thériault. Cette décision impliquerait de favoriser les aliments qui sont produits ici et d’abandonner ceux qui ne peuvent pas l’être, mais aussi de manger selon la saisonnalité des aliments, ce que M. Thériault estime être un gros « sacrifice » pour la population. 

« Les limites [de l’autonomie alimentaire du Québec] dépendent de la volonté publique de notre population à faire des choix cohérents avec notre contexte agricole », pense la présidente de la Coopérative pour l’agriculture de proximité écologique (CAPÉ) et copropriétaire de la Ferme Croques-Saisons, Caroline Poirier. Elle ajoute qu’il est difficile de proposer un « projet de société » qui demande de se priver d’aliments imprégnés dans notre culture, mais qu’il est impossible de produire ici, mais qui sont intimement ancrés dans notre culture, traçant ainsi les « limites » de l’autonomie alimentaire. 

Même si l’étudiante en droit à l’Université de Montréal Audrey-Anne Beaudry tend graduellement vers une autonomie alimentaire, celle qui habite sur la Rive-Sud de Montréal admet que c’est impossible pour elle de le faire pleinement. L’été, elle entretient un jardin, puis utilise ses récoltes pour faire des conserves, de la lactofermentation, de la déshydratation et de la congélation pour les consommer en saison froide. « Quand je ne suis pas capable d’être autosuffisante, j’essaie d’acheter local », ajoute Mme Beaudry, qui a commencé ce processus il y a 5 ans pour des raisons environnementales. 

Miser sur l’éducation 

Selon le président de l’Union des producteurs agricoles (UPA), Marcel Groleau, le prix des aliments influence grandement les décisions des consommateurs et des consommatrices. Afin qu’ils et elles voient au-delà du prix des aliments, « il faut que le gouvernement du Québec et les producteurs agricoles fassent la promotion de la qualité de ce qui est produit ici, où nos règles environnementales sont très sévères », considère-t-il. M. Groleau croit que des campagnes de sensibilisation pourraient permettre à la société québécoise de modifier ses comportements. 

Plutôt qu’un investissement dans des infrastructures telles que les serres, c’est dans l’éducation à la population que le gouvernement devrait s’impliquer, croit aussi Caroline Poirier. « [La construction de serres] est un développement à courte vue de l’autonomie alimentaire qui met tout le fardeau sur le secteur de la production sans remettre en question les envies des consommateurs », soutient-elle. La présidente de la CAPÉ estime que si les gens étaient suffisamment informés sur ce qui peut être produit et consommé selon les saisons, ils et elles seraient davantage enclins et enclines à faire des changements dans leurs habitudes de consommation. 

Avant d’entreprendre des démarches, un intérêt pour l’alimentation et certaines connaissances sont primordiaux, soutient Audrey-Anne Beaudry. Pour plusieurs personnes qui tendent vers l’autonomie alimentaire, c’est un moyen d’assurer le plein contrôle sur la qualité de leurs aliments. L’ancien agriculteur Henri Péquignot, qui vit majoritairement de l’autosuffisance alimentaire, croit que l’investissement de temps et d’argent en vaut la peine. Simon Mayer, lui, voit comme une  « fierté » le début de son projet qui lui permettra d’atteindre l’indépendance alimentaire. 

« [La population] n’a pas encore atteint le seuil critique de se dire qu’il faut acheter québécois », admet le vice-président de l’Ordre des agronomes du Québec, Pascal Thériault, qui souligne qu’en tant que pays occidental, la facilité à accéder aux aliments ne nous incite pas à réfléchir à leur provenance. « C’est quelque chose que la pandémie nous a fait réaliser » alors qu’une incertitude alimentaire s’est emparée de plusieurs personnes quand la COVID-19 a frappé le Québec. 

M. Thériault mentionne que la pandémie a donné envie à plusieurs personnes de jardiner et ainsi « retisser un lien avec l’aliment », notamment en milieu urbain, devenant ainsi un outil éducationnel. « On devrait promouvoir et voir l’agriculture urbaine comme un outil d’éducation qui permet de reconnecter les gens avec l’agriculture », pense Mme Poirier.

Mention photo Édouard Desroches | Montréal Campus

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