A-t-on a perdu la fierté de voir des artistes d’ici réussir? A-t-on perdu notre amour national pour nos créateurs et créatrices de demain? L’art qui se fait au Québec est-il moins intéressant que celui fait à l’étranger ?
C’est ce que je me demandais avant que ne déferle sur notre quotidien un virus qui ne connaît pas les frontières, et du même coup une série de mesures pour le freiner.
C’est ce que je me demandais en voyant, en février dernier, l’annonce d’une exposition sur le travail de Picasso qui sera présentée au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) à l’été 2021. Cette nouvelle, confirmée le 12 juillet dernier par l’institution, s’inscrit dans la série d’expositions « d’envergure internationale » réalisée par le MNBAQ, au même titre que la présentation des oeuvres de Joan Miró, célèbre peintre et sculpteur catalan en 2019. On peut aussi parler de ces blockbusters muséaux comme des attractions qui rapportent et permettent d’être rentable à la fin de l’année.
J’en avais assez de voir à l’avant-scène, encore, des artistes européens, blancs et masculins (bien sûr), qui ont commencé à créer il y a quelque 100 ans. Pas qu’il n’y ait pas moyen de revisiter les classiques, mais plutôt que cela se fait bien souvent au détriment d’artistes de chez nous. Et de surcroît, d’artistes qui représentent des minorités. Le MNBAQ n’est pas à blâmer en particulier, puisque cette tendance au profit avant tout est bien ancrée dans les musées depuis la vague néolibérale qui les a envahis au tournant des années 80.
Qu’arrivera-t-il à ces expositions « profitables » maintenant que les règles entourant leur tenue ont changé ? En effet, celles-ci nécessitent des prêts d’oeuvres de partout autour du monde, ce qui sera nécessairement plus compliqué dans les prochains mois, voire les prochaines années. De plus, distanciation sociale oblige, le flot de visiteurs et visiteuses ou de touristes sera moins important, malgré la réouverture graduelle permise depuis la fin mai annoncée par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy.
Que faire alors ? Il faudra, il va sans dire, valoriser les oeuvres, si riches et vivantes, produites dans notre coin de pays. Dans les réserves des musées, tapis à l’abri de l’humidité et des variations de température trop grandes, dorment des chefs-d’oeuvre de l’histoire de l’art de notre province qui ne demandent qu’à voir la couleur du jour. Certains d’entre eux en sortent rarement, mais pourraient avoir une chance prochainement.
Mis à part les expositions, les musées doivent également investir pour se procurer différentes oeuvres et plus que jamais, ces sommes devraient être investies dans celles de nos artistes. C’est d’ailleurs ce qu’a décidé de faire le Musée d’art contemporain de Montréal (MAC) en annonçant en avril dernier qu’il consacrerait l’entièreté de son budget de l’année 2020, soit 300 000 $, à l’achat d’oeuvres d’art du Québec. L’institution espère doubler ce montant grâce à des dons philanthropiques via la Fondation du MAC.
Il me semble tout de même étrange que d’autres musées n’aient pas emboîté le pas à cette initiative exemplaire. Il y a énormément de travail à faire pour valoriser l’art québécois dans tous les musées de la province, non seulement en ce qui concerne l’acquisition d’oeuvres, mais également dans l’élaboration d’expositions lui étant destinées. La mission du MNBAQ, tout comme celle du MAC et du Musée de la Civilisation, est d’ailleurs « de faire connaître, de promouvoir et de conserver l’art québécois de toutes les périodes, de l’art ancien à l’art actuel ». C’est écrit dans sa loi constitutive. Il serait donc temps d’aller faire ses devoirs. Bien que ce musée ait accordé à COZIC et à Marcel Barbeau des rétrospectives dans les dernières années, ce genre d’expositions reste trop souvent l’exception et non la norme.
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Je me disais donc que nous avions peut-être perdu notre fierté, mais il semble qu’il aura fallu une pandémie pour retrouver nos racines. Je le vois d’autant plus dans des initiatives pour soutenir les artistes d’ici comme Les Encans de la quarantaine ou encore dans des regroupements d’artistes comme le collectif Tartelette, qui a vu dans cette pandémie l’urgence de s’unir tout comme l’urgence de créer.
Je rêve d’un jour où les « grands » musées du Québec nous feront découvrir des artistes inédits et inédites, dans une véritable optique d’éducation artistique, et non pas avec des lunettes où les billets verts obstruent leur vision. Et où la démocratisation de l’art et la promotion de la diversité seront leurs sincères leitmotivs. J’ai l’impression qu’une petite révolution est en train de s’amorcer pour nos créateurs et créatrices, mais il faudra impérativement poursuivre dans le même mouvement une fois que la tempête pandémique se sera calmée. Je rêve, mais les artistes aussi probablement.
Cette chronique devait paraître dans l’édition papier du printemps 2020 qui a été annulée en raison de la COVID-19.
Photo Lila Maitre | Montréal Campus
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