J’ai banalisé mon agression sexuelle

Mise en garde: Agression sexuelle

Je n’ai jamais jugé nécessaire de partager mon histoire. Il semblerait toutefois que mon récit ait son importance aussi.

Mon histoire remonte à mars 2017 et j’ai alors 18 ans. Je suis à une fête avec des amis. Tous des amis, aucun inconnu. Un garçon que je connais depuis plusieurs années et avec qui je flirte à l’occasion est là. Après quelques verres et une conscience un peu altérée, je vais m’étendre dans une chambre sombre de la maison. L’homme en question me suit. Il se met tranquillement par-dessus moi et commence à m’embrasser. Je ne suis pas d’humeur. Il commence à promener ses mains sur mon dos et mon ventre, à serrer mes cuisses, mes fesses et mes seins. 

Je ne voulais pas. 

J’ai dit non. 

J’essaye de tourner la tête pour qu’il arrête de m’embrasser. 

Après plusieurs minutes, je finis par me libérer. Je sors. Il vient me rejoindre dans la seconde pièce où je me suis réfugiée. Il plaque subitement mes poignets sur le mur et recommence à m’embrasser. Je répète plusieurs fois : « Non, s’il te plaît arrête. » Ma voix est si faible, mais mon désir qu’il me lâche est pourtant si fort. Il me traite d’allumeuse et me dit qu’il sait que j’en ai envie.

C’était faux.

Je finis par me libérer, encore. Je monte rejoindre les autres en me disant qu’avec des gens autour, il ne tentera plus rien. Il arrive à son tour et me lance des regards qui semblent dire : « Je vais recommencer ». Quelques minutes après, il passe derrière moi et me prend une fesse.

Je suis paniquée. J’ai peur de dormir dans la même maison. Durant la semaine qui a suivi, je me réveille la nuit à cause des cauchemars. Je parle de mes tourments à une amie. Elle a beau être féministe, sa réponse me déconcerte : « Vous vous courriez autour depuis longtemps, tu en avais envie, vous aviez bu, je le connais et il n’aurait pas fait ça. » Et pourtant.

J’étais abattue. J’ai rangé cette histoire dans un compartiment de ma tête. À l’époque, on en était encore à qualifier ce qu’était qu’un viol. Embrasser quelqu’un de force ou passer ses mains sur celle-ci n’avait rien de choquant, même si à ce moment-là, mon consentement n’avait pas été entendu ni respecté. J’ai moi-même banalisé ce qui m’était arrivé, parce que j’avais bu. Parce qu’il est vrai qu’on avait déjà flirté.

La féministe en moi savait que ces arguments n’étaient pas valables, mais la femme, elle, cherchait des raisons pour expliquer cette honte qui la submergeait.

Le lendemain de cette soirée, je me sentais sale. Je me sentais si sale. Le genre de saleté qu’une douche ne peut pas vraiment enlever. Celui que seul le temps peut – un peu – effacer.

J’en ai discuté à nouveau quelques années plus tard avec mon amie. Elle s’est immédiatement excusée de ses paroles et a compris l’ampleur qu’elles ont pu avoir sur moi. Elle a dit qu’elle aurait dû comprendre ce qui s’était passé. Mais comment aurait-elle pu, alors que je n’en étais pas certaine moi-même

***

D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été féministe. J’apprends quotidiennement à être une meilleure alliée à ma cause, à en saisir tous les enjeux et les subtilités trop souvent négligées. Je clame haut et fort depuis des années que tous les récits méritent une tribune, si la victime souhaite en parler. Ce n’est toutefois que très récemment que j’ai compris que mon histoire n’était pas celle d’une soirée où il ne s’est rien passé, mais plutôt celle d’une agression sexuelle. 

Depuis cette soirée, je ne panique plus lorsqu’un homme me fait des remarques déplacées ou me regarde trop longtemps sans raison. Maintenant, je confronte et je réponds. Parce que je ne veux plus jamais ressentir la panique silencieuse de cette soirée un peu enivrée. Les pervers qui me regardent à l’arrêt d’autobus et les clients aux remarques plus que déplacées n’auront plus jamais le dessus sur mes émotions. Je ne suis pas un objet de désir. Je suis une femme qui mérite du respect. Comme toutes les femmes. Comme tout le monde.

Des histoires comme la mienne, chaque femme en a. Des fois, il s’agit de harcèlement. De violences physiques, psychologiques, d’inceste ou de viol. Les histoires sont infinies et incommensurablement déchirantes. Les femmes qui pensent n’avoir jamais vécu un événement de ce genre ont probablement banalisé ce moment de peur, de crainte, de honte. 

***

Près de trois ans après le mouvement #metoo, les femmes ont compris que la justice ne peut – bien souvent – rien pour elles si ce n’est que de leur apporter de nouveaux traumas. Elles ont compris qu’il faut se soutenir collectivement puisque le système judiciaire n’a rien de réconfortant. La force du nombre. Si nous sommes plusieurs, ils n’auront pas le choix de nous croire. Cela semble avoir son efficacité, puisque plusieurs noms sont sortis cette semaine. Et cette fois-ci, il n’est plus question que de viols. Les commentaires déplacés sont dénoncés à la même échelle que les agressions.

Les traumas sont réels. Les miens, les petits, mais aussi ceux beaucoup plus gros avec lesquels des milliers d’autres personnes vivent. Leurs histoires aussi sont réelles. Il faut croire ces personnes. C’est la seule façon d’aspirer à devenir une meilleure société.

À celles et ceux qui clament de laisser la justice gérer, nous avons essayé, sans franc succès. Les tribunaux populaires prennent le relais.

Cette deuxième vague de dénonciations n’est que le début d’un raz-de-marée qui va emporter bien des carrières et des réputations avec elles.

Et peut-être alors que celles qui étaient submergées pourront respirer à nouveau.

Illustration  Lila Maitre | Montréal Campus

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