Le flux instinctif : s’écouter plutôt que de se protéger

Laisser couler librement les décharges vaginales lors des menstruations, tout en prêtant attention aux signes de son corps, c’est ce qui définit la pratique du flux instinctif. Ce délaissement de la protection hygiénique à des fins écologiques, économiques et féministes suscite pourtant des insécurités hygiéniques et des questionnements au sein du discours populaire.

C’est lors de son intégration au sein du mouvement féministe qu’Ève Obert, étudiante à l’UQAM, a décidé d’expérimenter le flux instinctif libre. « Je voulais m’affranchir des stigmas qui entourent les menstruations et le corps d’une femme, et je désirais me sentir plus proche de moi-même », indique celle qui a adopté cette gestion du sang menstruel depuis déjà trois ans. 

Cette pratique, plus connue comme le free flow, consiste à abandonner les  protections hygiéniques lors du cycle menstruel. Il faut ainsi apprendre à relâcher ce sang sous l’écoute des signaux corporels. Selon la cofondatrice de la compagnie de sous-vêtement menstruels Mme L’Ovary, Érica Athena Lebrun, « le flux instinctif est une pratique par laquelle les femmes développent une conscience et une sensibilité à leur propre corps et perçoivent le moment où le sang menstruel s’écoule du vagin ». Celle-ci insiste sur l’importance de l’écoute de son corps et des signaux que celui-ci lui envoie pour que la pratique soit réussie.

Une étape à la fois 

« La première étape pour moi est d’apporter l’attention autour de nos muscles liés au plancher pelvien, aussi ceux liés au vagin, propose Mme Lebrun. Ce n’est pas vrai que le sang menstruel s’écoule comme une champlure, toujours ouverte. Il y a des moments de relâchement et il faut les détecter pour bien maîtriser la pratique »

Vu sa nouveauté, le flux instinctif libre demande une adaptation, avec des hauts et des bas. Pour s’y habituer, Ève Obert a entamé son acclimatement en enlevant toute protection durant la nuit. « J’ai taché de nombreux draps et pyjamas, révèle l’étudiante. Il m’a fallu beaucoup de travail psychologique, afin de ne plus être embarrassée par mes fuites nocturnes ». Pour s’accoutumer à la pratique de jour, Ève a changé son mode de protection, allant de la serviette hygiénique à la coupe menstruelle, pour finalement passer au flux instinctif à temps plein. 

Cette approche rejette l’utilisation de serviettes hygiéniques, tampons ou autre forme de supports sanitaires, ce qui implique moins d’achats et ainsi moins de déchets. Pour Érica, « les bénéfices écologiques et économiques sont assez évidents, on perd le besoin d’acheter des produits néfastes pour l’environnement, donc de ne pas produire de déchets en lien avec nos menstruations, et réduire en même temps notre dépendance aux protections hygiéniques jetables. » 

Pour sa part, Ève insiste sur les gains écologiques de la pratique. « On assure la diminution de la demande et de la présence de plastique à usage unique, de pesticides, d’herbicides et de solutions blanchissantes/anti-odeurs et d’autres composantes nuisibles. »

Étudiante et militante dans le Devoir Environnemental Collectif (DEC), Klara Brandl-Mouton considère ce procédé comme étant tout aussi économique et permettant « une différence appréciable à la fin du mois. » 

L’écoute de son corps 

« Ne pas se plier aux normes de la société qui nous dit de nous cacher et saigner dans la plus grande subtilité est un fuck you satisfaisant et, selon moi, nécessaire », soutient Mme Brandl-Mouton. Au-delà de l’aspect écologique et économique, le flux instinctif trouve sa pertinence dans le rapport à la conscience et aux sensations du corps féminin.

« Il y a beaucoup de pertes de sensibilité, surtout en bas de la ceinture, en lien avec la répression de notre sexualité, du tabou autour de nos organes sexuels », précise la cofondatrice de Mme L’Ovary. La pratique du flux libre permet un lien d’écoute et de sensibilité avec son propre corps, ce qui revalorise son rapport à la féminité, indique-t-elle. 

Le flux instinctif a radicalement transformé le lien d’Ève avec son cycle menstruel. « La pratique m’a permis de me sentir forte, confiante et pertinente, en rejetant la censure sociale, économique et politique entourant mon utérus. » 

C’est chaud, c’est dangereux ?

Y a-t-il des dangers à recourir au flux instinctif libre ? Infirmière à l’Hôpital Pierre-Boucher, Tania Kerwin indique que les dangers sont inconcevables et vu « l’écoulement libre des menstruations, il y a de minces risques d’infections ». Selon elle, la pratique peut seulement avoir un effet sur la musculature du vagin et de la zone du périnée, qui, elle, ne sera qu’améliorée. L’utilisation de tampons et de serviettes sanitaires ne représente en rien une approche plus hygiénique ni bonne pour la santé, souligne-t-elle. « Le flux instinctif empêche les risques de choc toxiques reliés à l’usage des tampons ». 

Par-dessus tout, le flux instinctif libre permet aux femmes d’entretenir un rapport novateur à leurs corps, comme pour la jeune militante Klara Brandl-Mouton, qui pratique depuis tout récemment cette écoute active aux signes de ses menstruations. « Arrêtons de nous faire dire comment gérer notre propre corps, et surtout, arrêtons d’avoir ce sentiment négatif envers à nos règles », déclare Klara.

Photo WILLIAM DAVIGNON MONTRÉAL CAMPUS

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